Faire de l'art avec des mouches mortes | |
Magnus Muhr | |
Faire de l'art avec des mouches mortes | |
Magnus Muhr | |
30 MARS 2010 Christian BOLTANSKI secret
28 MARS 2010 L'art ne supporte ni la frivolité, ni qu'on le dénature (Donald JUDD)
20 MARS 2010 MYRNA (Myrna Darby par Alfred Cheney Johnston)
18 MARS 2010 Le Bourget au sténopé : 4-4-4, 4e trou
1 MARS 2010 Christophe CUZIN, Centre d'art contemporain d'Annemasse
Christian BOLTANSKI secret | |
CATHERINE GRENIER : Toi-même, as-tu des secrets ? CHRISTIAN BOLTANSKI : Oui, je suis très secret. D’abord je suis quelqu’un d’extrêmement menteur. Je pense que le mensonge est une chose positive. Dans «art» il y a «artifice», l’art est toujours lié au mensonge. Le mensonge arrange la vie et la rend plus belle, et comme on ne sait pas ce que c’est que la vérité, ce n’est pas très important. En même temps, l’artifice est là pour montrer la vérité, plus tu fais faux, plus tu amènes au vrai. Le mensonge que représente l’art dévoile une vérité qui n’est pas une vérité personnelle mais une vérité exemplaire, générale. Ce n’est pas la vérité du «moi», mais du «nous», la vérité essentielle. Ce qui est le plus important dans l’art, c’est que ce soit totalement universel et collectif, mais que chacune des personnes qui le reçoit pense que c’est personnel et se reconnaisse. Dans l’art, c’est comme au théâtre, on doit parler un peu plus fort, sinon on ne serait pas entendu. Dans mon art, j’ai beaucoup joué à la vérité. | |
L'’émotion naît de la vérité de la chose que je montre. Par exemple, les «Suisses morts» sont vraiment des Suisses morts. Je n’aime pas le côté «Raspoutine», le fait de transgresser les choses sacrées, comme la mort, sous prétexte de faire de l’art. C’est pourquoi dans mon œuvre les titres ont beaucoup d’importance : si au lieu de «Suisses morts», on disait «membres d’un club anglais», ce serait très différent. Par contre, quand je parle de moi, je veux atteindre le collectif, donc j’utilise l’artifice et pas ma vie réelle. Il y a souvent des histoires que je raconte comme m’étant arrivées, alors qu’en fait, je les ai entendues ou lues. Si une histoire me plaît, je peux la prendre. Par exemple, le fait que je sois né de mère inconnue, est peut-être vrai, mais c’est peut-être faux. En fait, je suis un homme très secret, extrêmement secret.
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Christian BOLTANSKI Catherine GRENIER
La vie possible de Christian Boltanski Fiction & Cie / Seuil Paris, 2007 puis 2010 pp 290, 291, 292
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photo personnelle : Monumenta, Christian Boltanski janvier 2010 | |
art et frivolité... | |
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La qualité de l'art contemporain décline depuis quinze ans. Il y a probablement de bonnes raisons à cela, mais aucune, finalement, n'en éclaire la cause fondamentale. Notre époque ne produit que très peu d'artistes de premier ordre. Et l'on ne peut davantage expliquer pourquoi ils furent si nombreux à la fin des années 1940 et au début des années 1950, puis à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Bien que beaucoup de choses aillent mal dans notre société, l'émergence de nouveaux artistes dépend avant tout d'eux-mêmes. L'explication selon laquelle l'époque et la société seraient défavorables ne tient pas. Elles le furent sans doute toujours et la question qui se pose est plutôt : cela va-t-il plus mal encore ou un peu mieux ? La justification que l'on donne pour ne rien faire est toujours mauvaise. Il faut aussi prendre en compte la responsabilité des artistes plus âgés dans le maintien d'un haut niveau de qualité. Cette qualité, ils la conservent dans leur œuvre personnelle mais c'est tout. L'existence de bons artistes dépend avant tout d'eux-mêmes : voilà le fait ultime, le fait têtu. Une réforme peut favoriser l'émergence de nouveaux talents, mais pas nécessairement. Il fut souvent démontré que le fait d'avoir davantage de moyens et un public plus nombreux ne garantissait rien. Les conditions dans lesquelles l'art se fait, qu'elles soient confortables ou difficiles, sont beaucoup plus importantes. La pratique artistique doit rester dans certaines limites, l'art ne supporte ni la frivolité, ni qu'on le dénature. Donald JUDD «Un long essai qui ne traite pas de chef-d'œuvres mais des raisons qui font qu'il en existe si peu», in Art in America, sept 1984 pp 9-19 Publié dans Écrits, Galerie Lelong, Paris, 1991, traduit par Anne Perez . | |
illustration : Robert G. Harris (via ondiraiduveau) | |
Myrna Darby |
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.illustration : Myrna Darby par Alfred Cheney Johnston source . Eleni Karaindrou Nostalgia Song extrait de la bande originale du film de Théo Angelopoulos, La Poussière du Temps |
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Quatrième exposition internationale de photographie au sténopé | |||||
| Les 4 éléments en 4 images pour la quatrième exposition internationale de photographie au sténopé du Bourget. Telle était la commande pour ce quatrième millésime . Est-ce désormais nécessaire de rappeler ce qu'est un sténopé ? (2, 3, 4) J'avais évoqué ici même sa seconde édition puis la dernière. La perforation minimale a le don de toujours nous étonner, nous émerveiller, nous entrainer dans un monde ouaté, suave, méticuleux, hasardeux, poétique, drôle, incongru et profond à la fois. Pour ce qui est de la profondeur, l'incitation portant sur les quatre éléments n'y est évidemment pas pour rien et nous embarque dans l'épaisseur du monde. La théorie des quatre humeurs travaille en sourdine et ravive des préoccupations qui s'inscrivent dans une tradition vieille du second siècle de notre ère selon laquelle le monde des hommes est partagé en quatre catégories : à nous d'y retrouver les phlegmatiques, les sanguins, les bilieux et les mélancoliques.... | ||||
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C'est la quatrième fois en effet que la ville du Bourget organise ses rencontres internationales du sténopé. Les participants viennent parfois de loin : des États-Unis, du Canada, de Suède, de Pologne et même du Vénézuela. Le cadre est chaleureux, généreusement impulsé par son commissaire d'exposition, Marie-Noëlle Leroy. Ce qui retient l'attention c'est l'éclectisme, la variété et l'exigence des œuvres présentées actuellement dans le cadre de cette exposition : les pratiques sont variées, la couleur et le noir et blanc cohabitent, les supports (papiers traditionnels, bandes sensibles, caissons lumineux, installations, etc.) sont d'une grande diversité ainsi que les formats et les modes d'accrochage et de présentation. En outre, cette diversité n'affecte pas la notion d'ensemble. | |||||
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Matthias Hagemann est un habitué du lieu et ses travaux (1, 5, 6) témoignent à la fois d'une grande sensibilité plastique et d'une grande exigence intellectuelle. Ici il met en scène les quatre éléments traditionnels (la terre, l'air, l'eau et le feu) et les installe dans leur relation au temps. Cette série Éléments du Temps les met ainsi en correspondance par le biais d'une installation: un journal (le Temps, dans plusieurs langues), une pendule, et puis le médium très particulier qu'est le sténopé qui impose -on le sait- un temps d'exposition extrêmement long. Un autre très beau travail est celui de Christian Poncet. Là aussi l'artiste joue sur le temps et les effets que ces poses, très longues, produisent sur le support : le lac Léman s'efface, ses aspérités disparaissent et se lissent et seules les parties dures et fixes du paysage apparaissent comme des objets dotés d'une réalité exédentaire, en suspens, étranges et déterminés. Le papier utilisé et le traitement, subtil et légèrement sépia des tirages, confèrent à ces images une grande tenue artistique . | |||||
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Le caisson lumineux fait cette année son apparition dans le monde du sténopé (7) grâce à un artiste de Toulouse, Pierre-Olivier Boulant (qui, l'an passé, avait présenté un mobile) : un travail coloré en trois registres ouvrant sur une forme d'abstraction contenue dans la pratique même du sténopé car, à l'imprécision de la mise au point, au vignettage, s'ajoute le bougé qui débouche sur une espèce d'espace totalement improbable ; on en retrouvera d'autres manifestations chez d'autres artistes présents dans l'exposition comme Pavel Janczaruc (9), par exemple. Patrick Lallemand (8), un habitué du lieu, met en scène de petites fabrications renvoyant à une autre échelle, celle de la planète. Ses cadres, faits de carton très soigneusement travaillé, font toujours partie des exigences qu'il se donne. | |||||
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Les supports peuvent être singuliers comme ceux ayant servi à la réalisation de ces paysages couchés sur des pellicules couleur traditionnelles disposées en registres et laissant apparaître les secrets de fabrication (Romulo Pena, ci dessus). | |||||
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Le mode de présentation l'est également : de longues bandes de supports sensibles rendent compte de la perception d'un quotidien fabriqué qui se déploit dans une linéarité : un travail délicat de Sabine Dizel (13) fait à la fois de collages et de dessins. | |||||
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La forme arrondie et le vignettage (ci-dessus) rappellent la nature de la fabrication du sténopé. La profondeur de champ et la déformation et notamment la torsion de l'espace (15,18) sont deux caractéristiques de ce médium photographique. | |||||
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Ce procédé visant à tordre l'espace sera poussé très loin dans ces grands panoramiques orangés de William Mokrynski. Un procédé consiste à déplacer doucement la boîte-sténopé simultanément à la prise de vue dans des directions différentes ou bien encore le support sensible peut être déroulé au moment de l'inscription de la lumière sur sa surface. William Mokrynski, lui, va tapisser l'intérieur d'un cylindre -le trou du sténopé se trouve dans ce cas, au milieu du fond de la boîte ou au milieu du couvercle- et pratiquer plutôt quelque chose s'apparentant à l'anamorphose*. Le résultat est une représentation hallucinée de l'espace, un monde où l'on reconnaît des traces réelles du visible perdues dans une construction farfelue. | |||||
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Un très bel objet photographique avec Gregg D. Kemp (19), artiste américain qui fait sortir l'image de sa planéité et entraîne le spectateur vers un univers marin et onirique. Gregg Kemp comme Pavel Janczaruk a pratiqué ce qu'on appelle une solarigraphie : l'émulsion est forcément un papier photo, exposé à l'extérieur pendant plusieurs mois. Il enregistre donc la "course du soleil" qui s'élève au dessus de l'horizon un peu plus chaque jour quand on va vers l'été (et inversement, bien sûr). Le papier photo change de couleur avec le temps d'exposition et l'image, toute latente qu'elle soit, ne doit pas être développée sinon elle deviendrait complètement noire. Il faut vite la scanner quand on la retire de la boîte car elle s'efface à cause de la quantité importante de lumière qu'elle reçoit. On se retrouve un peu dans la position de Niépce quand il ne savait pas encore fixer ses images, mais ici on ne peut même pas conserver l'image.* À remarquer également dans cette exposition quatre magnifiques tirages d'oiseaux flamboyants et délavés de la Canadienne Janie Julien-Fort (20). Ce quatrième millésime de l'exposition internationale de la photographie au sténopé du Bourget est un grand cru. Ces rencontres ont atteint cette année une maturité qui font de cette manifestation une référence. | |||||
| La dimension humaine -liée au bricolage, tel que l'a décrit Claude Lévi-Strauss- est déterminante dans le processus et la démarche de réalisation du sténopé, ce qui le rend si attachant. Une machine bricolée, délirante, machine à photographier de l'intérieur -le fameux Javomaton- a donné lieu ce soir là à une performance drôle, initiatique et irruptive qui a fait peur aux enfants... Ce fut l'occasion pour la belle inconnue, et par le plus beau des hasards, de traverser le champ de la photographie en train de se faire et d'y laisser son empreinte faite d'un bougé fugitif, comme dans les plus beaux des sténopés accrochés aux cimaises. | ||||
* précisions techniques de Marie-Noelle LEROY | |||||
illustrations : 1. Matthias Hagemann 2. sténopé 3. sténopé 4. sténopés 5. Matthias Hagemann 6. Matthias Hagemann 7. Pierre-Olivier Boulant 8. Patrick Lallemand 9. Pavel Janczaruc 10. Christian Poncet 11. Christian Poncet 12. Romulo Pena 13. Sabine Dizel 14. vue d'ensemble ; au fond : Guilhem Senges et Lena Källberg 15. Lena Källberg 16. Peter Donahoe 17. Pascale Peyret 18. William Mokrynski 19. Gregg D. Kemp 20. Janie Julien-Fort | |||||
4-4-4, Quatrième exposition internationale de photographie au sténopé Du 11 mars au 24 avril 2009 Centre culturel André-Malraux, 10, av. Francis-de-Pressensé, 93350 Le Bourget | |||||
site de La Capsule (résidence pour artistes)-Le Bourget (93) présentant l'exposition. | |||||
Artistes présentés : Stéphane Bieganski, France - Boulant Pierre-Olivier, France - Olivier Brazzalotto, France - Mimi Brocas, Belgique - Sylvain Charras, France - Gérard Collin et Jacques Piette, France - Laurent Daurios, France - Laurent Diaz, France - Sabine Dizel, France - Peter Donahoe, USA - Basile Dubroeucq, France - Hagemann Matthias, Espagne - Henry Thomas , France - Pavel Janczaruk, Pologne - Janie Julien-Fort, Canada - Danny Kalkhoven, Pays-Bas - Lena Källberg, Suède - Gregg D. Kemp, USA - Elizabeth Kenneday, USA - Lallemand Patrick, France - Nicolas Lesté-Lasserre, France - Tom Miller , USA - William Mokrynski, Pays-Bas - Romulo Peña, Vénézuela - Peyret Pascale, France - Christian Poncet, France - Guilhem Sengès, France - Peter Wiklund, Suède | |||||
Christophe CUZIN, Centre d'art contemporain d'Annemasse |
Légers décalages, façade est Villa du Parc, Centre d'art contemporain, Annemasse |