7 mai 2007
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Le style et la signature | |||||||||
![]() | Il était une fois un jeune Khan mongol dans sa forteresse des montagnes, au nord de l’Hindû-Kûsh, passionné de peinture et de dessin. Parmi les femmes de son harem, il n’en aimait qu’une seule, mais à la folie, et celle-ci, jeune Tatare, belle parmi les belles était éperduement amoureuse de lui. A longueur de nuit, et jusqu’aux petites heures du matin, ils s’adonnaient, à perdre haleine, à de si brûlants ébats, se délectaient d’un tel bonheur qu’ils auraient voulu que cette vie inimitable fût aussi éternelle. Aussi bien avaient-ils découvert que la meilleure façon de réaliser ce souhait était de regarder pendant des heures, à longueur de journée, sans relâche, les merveilleuses et parfaites images de l’amour qu’ils trouvaient dans les livres des maîtres anciens. Et en effet, à force de contempler toujours les mêmes illustrations sans défauts des mêmes histoires d’amour, ils sentaient leur félicité égaler peu à peu celle de ces récits des temps heureux de l’Âge d’Or. Or,dans l’atelier de miniatures du prince, un peintre, parmi les maîtres, chargé de produire et reproduire toujours la perfection des mêmes images des mêmes ouvrages, cultivait les usages consacrés, pour peindre les tourments de Farhad et Shirine, les regards éperdus, désolés, échangés par Majnûn et Leyla, et la langueur profuse dans les clins d’œils lourds de sous-entendus et de secrets intimes, qu’au milieu d’un jardin beau comme celui du Paradis se renvoient Shirine et Khosrow, en prenant, quel que fût le livre, la page à illustrer, toujours pour modèle des amants, son souverain et la belle Tatare. Le Khan et sa compagne, persuadés par la contemplation de ces pages que le bonheur n’aurait jamais de fin, inondaient notre peintre d’or et de louanges. Mais l’excès de faveur et d’or, à la fin, eut raison de la raison du peintre : oubliant que la perfection de ses œuvres n’attestait que sa dette envers les modèles anciens, il s’écarta de leur voie, séduit par les prestiges du Diable : il eut la vanité de croire qu’à mettre un peu de lui-même dans ses miniatures, celles-ci plairaient davantage. Or, ces innovations personnelles, les vestiges qu’il laissa de son style ne firent que troubler le Khan et sa compagne : ils n’y trouvèrent que des imperfections. En sentant que, du charme de ces images, quelque chose était rompu, que ces miroirs parfaits de leur bonheur étaient brisés en quelque sorte, le souverain mongol conçut, pour sa compagne d’une histoire ancienne, dont les pages semblaient tournées, une forme de jalousie. Pour la rendre jalouse, il coucha avec une des suivantes. Les commérages firent le reste, et si bien que la belle et jeune Tatare, sans rien dire, se pendit à la branche d’un cèdre dans la cour du harem. Comprenant son erreur, et qu’elle était dûe à ce «style» du peintre séduit par le Diable, sur-le-champ il lui fit crever les yeux. Orhan PAMUK Mon nom est Rouge Éditions Gallimard, 2001, traduit du turc par Gilles Authier, p 93 | ||||||||
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Les artistes du XXIe siècle, en Occident, s'inscrivent dans une autre tradition en cherchant à se distinguer et à s'affranchir des marques de leurs aînés afin d'exister. La distinction de la signature reste une valeur. La nouveauté, sa condition. Le conte du Khan et de la jeune et belle Tatare est là pour nous rappeler qu'il existe d'autres valeurs. | |||||||||
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illustration extraite du site willowfyre.com | |||||||||
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L'arbre | |||||||||
![]() | Un jour, un de leurs grands peintres se promenait avec son collègue dans une prairie, et ils devisaient de leur art, quand ils arrivent en vue d’une forêt. Celui qui était le plus avancé dans leur art aurait dit à l’autre :« Si l’on veut peindre à la manière nouvelle, il faut peindre chacun des arbres de cette forêt de façon qu’un amateur qui s’y rendrait puisse tous les reconnaître.» Moi que vous voyez, je ne suis qu’un pauvre arbre, et je remercie Dieu de n’avoir pas été peint d’aussi docte manière. Ce n’est point que j’appréhende, si j’étais dessiné à la manière franque, que tous les chiens d’Istanbul, me prenant pour un vrai arbre, ne viennent me pisser dessus. Mais j’aspire, plutôt qu’à être un arbre, à en être le signe. Orhan PAMUK Mon nom est Rouge Éditions Gallimard, 2001, traduit du turc par Gilles Authier, p 76 illustration : exposition BNF Splendeurs persanes site BNF Khosrow voit Chîrîn près de la source Supplément persan 1029, folio 49v Les Cinq Poèmes de Nezâmî, Khosrow et Chîrîn | ||||||||
Pedro Meyer | |||||||||
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photographie : semaforo, ©Pedro Meyer extraite du site www.adf.de | |||||||||
Même heure, même endroit Abbaye de Maubuisson 28 mars-3 septembre 2007 | |||||||||
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Même heure, même endroit, est le titre d’une exposition qui se tient en ce moment en un lieu magnifique : l’abbaye de Maubuisson. Six artistes présentent des travaux créés sur la base de cette proposition thématique qui renvoie à la fois à une actualité médiatisée et à une réflexion sur ce qu'est une image juste. Le travail présenté par Pascal Convert me paraît particulièrement réussi. | |||||||||
![]() | Nous sommes en présence d'une installation qui se compose de trois éléments essentiels : une double stèle faite de cristal transparent et noir représentant le portrait d'une femme, une sculpture sur socle ou podium faite de l'association d'un piano et d'une énorme racine apparemment calcinée et enfin, une vidéo d'une vingtaine de minutes. | ||||||||
S'y ajoutent deux autres éléments constitutifs de l'œuvre : une bande-son et le fait que l'ensemble est plongé dans une pénombre. Tous ces éléments doivent à priori être considérés à parts égales, à valeur égale ; il ne devrait exister aucune hiérarchie entre eux. Néanmoins la vidéo et le son qui lui est associé dominent et captent notre intérêt. | |||||||||
![]() | L'ensemble de cette œuvre, et notamment la vidéo, fonctionne sur l'affect. Pascal Convert s'inscrit délibérément dans le registre des sentiments et de l'émotion et la vidéo est un axe fort allant en ce sens. Elle est la colonne vertébrale de l'œuvre. Cette vidéo peut être considérée selon un découpage en deux temps. | ||||||||
Une courte scène en noir et blanc est placée au tout début de ce film. Il s'agit de l'extrait d'un véritable reportage tourné en Tchétchénie juste après un bombardement. Le paysage est un paysage de désolation. Tout est détruit ou en feu. La scène montre un petit garçon en pleurs , appelant au secours ; on l'entend crier et à plusieurs reprises implorer de l'aide : «Sauvez-moi ! Je vais vous montrer le chemin :appartement 93, porte 22». A l'arrière-plan on devine un corps allongé au sol et en feu. Un corps qui flambe. Un homme bouge ce corps de la pointe de son pied. Une scène narrative, extraite d'une réalité filmée sur le vif. Une situation empruntée à l'horreur absolue. L'inacceptable. | |||||||||
![]() | Suivent des images de type onirique, intégrant beaucoup d'éléments en rapport avec le feu mais également avec l'eau. Le film est soigné, installant des passages, souvent longs, qui projettent des images de manière un peu stroboscopique selon le rythme des battements du cœur. Scansions, répétitions, obsessions. Tout ce qui fait l'ordinaire d'un cauchemar. | ||||||||
Le son et la musique (travail et composition par Bernard Lubat et Alain Minvielle) sont là pour donner de la force aux images. Et inversement. Ce son est souvent inquiétant, lanscinant, sourd, répétitif, strident. Il va se caler sur une image de mains sous l'eau et l'on entendra le piano seul. Ces mêmes mains se déchaîneront de manière hystérique, griffant une surface et laissant des traces désagréables à la manière d'ongles qui raient un tableau. Son traité en rapport. Effet insupportable. C'est l'acmé du cauchemar. De gros plans du visage d'une femme âgée sont projetés en surimpression et rappellent le personnage représenté sur la stèle de verre. | |||||||||
![]() | L'imposante racine noire calcinée donne une épaisseur aux scènes de feu, de terreur et de calcination montrées dans la vidéo. L'objet piano joue le même rôle du point de vue du son. Ces objets noirs et fantomatiques sont un peu comme des traces tangibles de l'événement, des preuves qui contribuent à donner corps aux images numériques. | ||||||||
![]() | L'intention de Pascal Convert est de transmettre une émotion en essayant de faire partager cette terreur ressentie, vécue par nos semblables. Ce film s'intitule «cauchemars». Et dans le générique, il est écrit «A ma mère». Les formes plastiques permettent-elles de faire partager cet intime qu'est le cauchemar ? | ||||||||
![]() | Le visage représenté dans le film et celui qui figure en ronde-bosse sur la stèle sont-ils les mêmes ? Non. Le titre de cette installation de Pascal Convert est Tombe pour Anna Politovskaïa. Cette œuvre a été réalisée en hommage à la journaliste russe assassinée en octobre 2006. Le portrait figuré sur la stèle est donc le sien. Il est intéressant de remarquer que ce personnage d'Anna Politovskaïa adopte la position de la mélancolie : bras gauche replié sous le menton. Pascal Convert semble ainsi instaurer un rapport mélancolique au monde par le biais de l'œuvre d'art. | ||||||||
A la lecture de la note d'intention qui accompagne l'exposition, nous apprenons que nous avons affaire à la juxtaposition de deux œuvres de Pascal Convert : l'une, Direct indirect III. Cauchemars datée de 2004 (la vidéo) ; et l'autre, Tombe pour Anna Politovskaïa, composée de la stèle de verre du piano et de la racine, datée de 2007. En fait, l'organisation de ces deux pièces, si imbriquées et le son qui occupe tout l'espace d'exposition, donnent l'impression d'une pièce unique. Et le tout fonctionne très bien ensemble. | |||||||||
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photographies de l'auteur Exposition, Même heure, même endroit L’exposition est présentée dans le cadre de la manifestation Hospitalités organisée par TRAM, réseau art contemporain Paris Ile-de-France. Rue Richard-de-Tour – Saint-Ouen-l’Aumône 01 34 64 36 10 du 28 mars au 3 septembre 2007 | |||||||||
Même heure, même endroit Abbaye de Maubuisson 28 mars-3 septembre 2007 | |||||||||
![]() | Même heure, même endroit, c’est le titre d’une exposition qui se tient actuellement dans un lieu exceptionnel, non loin de Paris : l’abbaye de Maubuisson. Cette abbaye cistercienne, à proximité de Pontoise, est un endroit magnifique qui abrite depuis pas mal de temps déjà, des expositions d’art contemporain. Depuis le 28 mars six artistes présentent des travaux créés sur la base d’une proposition thématique qui marque une intention : celle de faire réagir des artistes à une actualité internationale qui a pour habitude de mobiliser des images, sans tri préalable. | ||||||||
Comment réagissons-nous face à cette inflation d’images ? Y sommes-nous préparés ? La pratique artistique nous invite-t-elle à faire ce tri ? Déplace-t-elle les limites, les normes ? Donne-t-elle du relief à une actualité fournie, touffue qui peine à hiérarchiser l’importance des événements ? La pratique artistique, nécessairement subjective, contribue-t-elle à objectiver notre rapport au monde ? | |||||||||
![]() | Toutes ces questions, nous nous les posons en circulant d’un lieu d’exposition à l’autre dans ce bel et immense domaine de Maubuisson. Dans un corps de l’abbaye, la grange dîmière, Carlos Castillo présente une imposante installation intitulée 35 lieux du monde. | ||||||||
Il s'agit d'une installation composée de plusieurs pièces disposées horizontalement au sol, à même le sable, qui sont des coordonnées géographiques renvoyant à des lieux de vie désormais rayés de la carte (ces lieux étant ceux de destructions liées à la guerre). Au fond de l’espace plongé dans l’obscurité, une immense toile éclairée, difficilement déchiffrable et qui porte des indications liées, elles aussi, à une catastrophe. | |||||||||
![]() | Les bruits assourdissants d’hélicoptères, d’avions de toute sorte et de cris complètent le dispositif. Les visiteurs déambulent dans le sable entre ces coordonnées au sol afin de mieux s’imprégner de cette ambiance lourde et émotionnelle. Une conception d'ordre baroque génère une certaine impression d'autorité. | ||||||||
![]() | Dans un autre espace, le bureau ovale de la maison blanche est reconstitué en volumes et grandeur nature par un artiste, Benoît Broisat. Le travail a consisté à numériser des images du lieu véritable, à en agrandir les détails puis à les contrecoller sur des supports et des volumes pour enfin les installer dans un espace de passage. | ||||||||
![]() | L’agrandissement produit un effet de flou, de déréalisation qui va questionner le regard que l’on porte sur les choses et plus particulièrement les artifices du politique et de ses outils. Il y a en effet un écart qui se créé entre quelque chose qui est bien une image (et une image de «mauvaise qualité», avec ses imprécisions, ses raccords hasardeux et ses couleurs sombres) et un espace réel, un volume dans lequel nous avons le choix de circuler véritablement. Cette déréalisation nous renvoie à un effet de déréalisation plus général. | ||||||||
![]() | Ceci concerne la connaissance que nous avons (ou nous croyons avoir) de lieux que nous n’avons jamais vus en réalité. L’artifice revendiqué par ce travail plastique est clairement affiché puisque nous voyons l’envers du décor, ainsi que l’assemblage des différents éléments, loin de toute volonté de faire vrai. | ||||||||
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![]() | Dans une salle attenante Olga Kisseleva présente deux installations dans un même lieu, deux installations fondées sur des projections vidéo simultanées. La première, intitulée Doors montre deux surfaces de projection, dos à dos qui ont accessoirement la faculté d’intégrer l’ombre transparente et la découpe du regardeur déambulant. | ||||||||
![]() | Une de ces projections, de très grand format, montre une façade en plan fixe percée d’une porte d’où sortent et entrent des hommes que l’on voit boire du thé, attablés dans la pièce du fond. La scène se passe au Pakistan et elle a été filmée le 11 septembre 2001 au matin. | ||||||||
![]() | Ce que l’on voit sur l’écran plaqué à l’envers correspond cette fois-ci à une scène filmée de l’intérieur. Des individus, vêtus à l’occidentale passent également une porte. Tout se joue entre ces deux espaces dans ces passages qui nous obligent à nous déplacer, nous les visteurs, d’un lieu à un autre, alternativement. | ||||||||
![]() | La deuxième installation d’Olga Kisseleva fonctionne également à base de deux projections qui sont présentées, cette fois, face à face, sur deux murs opposés. On voit sur l’une de ces projections une jeune fille habillée de vêtements colorés, qui se détache sur un fond de sol à bandes horizontales et vient en courant et dansant à la fois, vers le spectateur dans un mouvement continu libre et répétitif, la figure émergeant au ralenti et en fondu enchaîné. | ||||||||
![]() | L’autre projection, celle qui lui fait face, est un film tourné dans l'aéroport de Zürich en caméra cachée. Des hommes en costume et portant mallette passent les grilles de la douane. La caméra est fixe. Le flot est lent. Cette pièce d'Olga Kisseleva s'intitule Border / no border. Et il s'agit bien d'une histoire de frontières. | ||||||||
L’opposition entre ces deux projections est lourde de contradictions et d'opposition. L’espace du regardeur se situe entre ces deux surfaces animées. Rencontrer ce double espace de projection signifie osciller physiquement de l'un à l'autre et vice-versa afin de mieux en percevoir la dimension. | |||||||||
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![]() | Plus loin, une petite vidéo courte présente sur un mode apparemment désinvolte et guilleret (la bande-son est composée d'une musique gaie et populaire) l’accoutrement puis la déambulation d’une artiste, Seulgi Lee, déguisée en femme afghane complètement voilée, dans les paysages d’une Corse de carte postale. Les points de vue sont traités de manière alternative : la vision de l’autochtone, à une table de bistro puis, subrepticement celle de l’artiste dont le paysage vu sera filmé par un des trous de la cagoule faite d’un tissu imprimé attaché autour du cou par un ruban. | ||||||||
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![]() | Trois autres vidéos sont présentées plus loin, œuvres d’une artiste britannique d'origine africaine, Grace Ndiritu. La condition des populations africaines et plus largement de celle réservée au tiers-monde, y est abordée. Une vidéo, Desert Storm, montre l’artiste, allongée au sol, dont le corps est voilé d’un tulle blanc, se rouler et se déhancher sur un planisphère. Vision aérienne, corps-paysage, peau noire voilée de blanc. Une image sépia, obsédante, trouble, évoque la condition de la femme africaine et de ce qu'elle subit en temps de guerre. Un bandeau passant égrène ici le nom des pays frappés par les conflits. | ||||||||
![]() | Une autre, Absolut Native, cadre les pieds de l’artiste qui danse sur une terre sombre, le tout étant souligné par un bandeau déroulant où nous voyons défiler un texte de l'économiste Joseph Stiglitz, dénonçant la gestion de la dette des pays du tiers-monde. Identité personnelle et condition du monde vont ici se rencontrer. | ||||||||
![]() | La troisième vidéo, Time, a une forme plastiquement intéressante puisqu’il s’agit d’une reconstitution de la couverture du magazine Time dont l’illustration centrale est une figure féminine noire qui bouge à la manière d’un point aveugle, central et mouvant, sans relief, sans détails, au milieu d’un cercle de bougies allumées posées au sol. La forme de cette œuvre retient l’attention du fait de sa surface de restitution qui est un écran traditionnel mais présenté verticalement, donc basculé à 90°. C‘est une manière de nous aider à modifier symboliquement le point de vue que l’on peut avoir sur les choses et sur le monde. | ||||||||
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![]() | Enfin, le dernier artiste présenté dans le cadre de cette exposition est Pascal Convert qui est l’auteur d’une installation, Tombe pour Anna Politovskaïa, en hommage à la journaliste russe assassinée le 7 octobre 2006. | ||||||||
![]() | Cette installation se compose de trois pièces principales qui sont une double stèle verticale faite de cristal transparent et noir qui montre un portrait de la journaliste, une sculpture sur socle, composée d’un piano noir surmonté d’une énorme racine calcinée et enfin d’une projection video doublée d’une bande sonore. Le tout étant présenté dans une pénombre. Cette pièce est travaillée sur un mode émotionnel. Les composantes à la fois politique et mémorielle sont présentes. L’espace d’exposition qui est la salle des Religieuses de l’abbaye confère à cette œuvre un côté solennel et funéraire intense. | ||||||||
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Je compte évoquer le fonctionnement de cette œuvre de Pascal Convert plus en détail dans un billet à venir. Exposition, Même heure, même endroit L’exposition est présentée dans le cadre de la manifestation Hospitalités organisée par TRAM, réseau art contemporain Paris Ile-de-France. Rue Richard-de-Tour – Saint-Ouen-l’Aumône 01 34 64 36 10 du 28 mars au 3 septembre 2007 | |||||||||
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illustrations : photographies de l'auteur à l'exception de la : -1 : extraite de la brochure de l'abbaye de Maubuisson, Abbaye Notre-Dame-la-Royale dite de Maubuisson, (www.valdoise.fr), photos :©P.Lhomel, ©AVDO : L.Baude, C.Brossais, ©T.Liot, et l'affiche de l'exposition Même heure, même endroit, en surimpression) -12 : extraite de la brochure de programmation de l'abbaye de Maubuisson, ABBAYE DE MAUBUISSON mars/septembre 2007, p 5, photo ©Seulgi LEE -13 : extraite de la brochure de programmation de l'abbaye de Maubuisson, ABBAYE DE MAUBUISSON mars/septembre 2007, p 17, photogrammes, ©Grace NDIRITU -14 : extraite du site performing rights photogramme, ©Grace NDIRITU -15 : extraite du site axis, photogramme ©Grace NDIRITU | |||||||||
Sigmar Polke Musée Frieder Burda, Baden-Baden rétrospective, jusqu'au 13 mai 2007 | |||||||||||
Sigmar Polke aime utiliser les images. A chaque fois, tu te demandes : c'est une référence, un clin d'œil ?... Les deux (bah, voyons...) Et plus encore ! | |||||||||||
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![]() | Dürer. (Le Lièvre). Là, je suis sûr (c'est signé). | ||||||||||
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![]() | Carl André ? (c'est écrit). Vermeer ? Non, ne me dis pas que c'est Wim Delvoye ! | ||||||||||
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![]() | Une photo dans Play-Boy ! | ||||||||||
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![]() | Filliou ? ou bien Beuys. Peut-être bien Mondrian, va savoir. A moins que ce soit Marcel Broodthaers. ;-) | ||||||||||
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![]() | Conceptuel. Oui, conceptuel. Mâtiné suprématiste. | ||||||||||
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![]() | Et là c'est Warhol ! (genre Do it yourself) | ||||||||||
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![]() | Et pour celui-là, il faut se mouiller ; bon, tu vois les petits haricots dans le fond ? Et puis le tissu qui pendouille en bas ? Ca te dit rien ? (ça commence par un V)... Trois indices impeccables. | ||||||||||
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Illustrations : extraites du catalogue - Dürer Hase, 1968, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 39 - Carl Andre in Delft 1968, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 35 - B-Mode, 1987, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 64 - Telepatthische Sitzung II 1968, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 34 - Höhere Wesn befahlen, 1969, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 41 -Profil, 1968, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 40 -Tischerücken, 1981, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 43 Exposition Sigmar Polke, museum Frieder Burda | |||||||||||
Sigmar Polke Musée Frieder Burda, Baden-Baden rétrospective, jusqu'au 13 mai 2007 | |||||||||||||
![]() | Sigmar Polke va prendre plaisir à entretenir la confusion entre la peinture traditionnelle, faite à la main, et l'utilisation de moyens mécaniques ou plutôt l'apparence des représentations mécanisées des images. Un certain nombre de ses toiles montrent des scènes ou des objets apparemment traités à l'aide du procédé de similigravure aisément repérable du fait de sa trame visible dont la taille des différents points traduit les dégradés de l'image. Cette technique a été utilisée par la presse à grand tirage. Les effets de ce procédé photomécanique confèrent une réelle valeur plastique aux images à l'occasion d'un grossissement. Polke va mettre en scène ce type de procédé mais en mettant en défaut l'intérêt même de cette technique de reproduction rapide puisqu'il réalisera ses trames à la main (photo ci-contre). | ||||||||||||
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Il appliquera cette démarche en utilisant également les effets de la quadrichromie, et particulièrement d'une mauvaise quadrichromie, celle qui laisse apparaître le détail de la séparation des couleurs. Il accusera l'entreprise en choisissant pour modèles des photos non valorisantes (comme ces jeunes filles, ci-dessus) empruntées à des magazines légers afin de renforcer l'idée d'une image sans qualités. | |||||||||||||
![]() | Ce jeu sur les procédés de reproduction mécanique des images va faire l'objet de mises en scènes pleines d'humour à l'instar de cette œuvre qui montre un pochoir, outil de reproduction rapide et répétée, mais à côté duquel Polke a rajouté des objets courants qui ont la forme de pochoirs mais qui n'en sont pas (ici,sous-plats en papier ajouré pour gâteaux d'anniversaire)... | ||||||||||||
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Et l'on va retrouver cette volonté de brouiller les pistes dans un certain nombre d'œuvres de Sigmar Polke qui va faire référence, de manière humoristique, à des procédés techniques ou mécaniques complexes ou stéréotypés, selon les cas. Les mélangeant, le plus souvent possible...Et les uns faisant écho aux autres. La structure filaire permettant de configurer les volumes dans les représentations d'images de synthèse (en haut, à gauche) va se trouver confrontée à un simple jeu pratiqué par les enfants et qui consiste à souffler sur une tache de peinture liquide et à orienter simultanément le support pour diriger son geste ou bien, tout simplement, à diriger des coulures de peinture sur un plan que l'on va incliner en différents sens en tentant une représentation ou le dessin d'une forme géométrique (en haut, à droite). Les deux résultats renvoient formellement à une technique apparemment élaborée, ou en tout cas, qui semble donner toutes les apparences d'un procédé technique ou mécanique qui n'est pas du simple dessin direct. | |||||||||||||
![]() | Sigmar Polke va sans cesse interroger les images, nous rappeler sans arrêt que l'on bien affaire à des images. Aucune ambiguïté. Aucune prétention. La mécanique et les techniques les plus sophistiquées n'y pourront rien. On passe toujours avec lui d'un monde à un autre ; les cloisons (même de verre) sont poreuses et nous les franchissons avec bonheur. | ||||||||||||
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Illustrations : - Sigmar Polke en train de peindre, 1970, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 138 - Freundinnen, 1965/66, photographie de l'auteur - Freundinnen, (détail)1965/66, photographie de l'auteur - Schnell, schnell, Isabell, 1979, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 202 - Eruption 1992, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 209 - Jenseittskontakte, 1995, gouache, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 212 -Mann steigt durch Glaswand, 1992, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 208 Exposition Sigmar Polke, museum Frieder Burda | |||||||||||||
Sigmar Polke Musée Frieder Burda, Baden-Baden rétrospective, jusqu'au 13 mai 2007 | |||||||||||||
![]() | Sigmar Polke est de toute évidence un collectionneur d'images, quelqu'un qui aime les images et qui prend un grand plaisir à les triturer, les torturer afin de les interroger de mille manières. Ces images ont des sources variées et il les puise aussi bien dans la presse qu'à la télévision, au cinéma ou dans les livres (d'art, notamment). Les images de faits divers, d'actualité ou de publicité vont se mélanger à celles, plus sérieuses, de peinture de genre ou de représentations croisées dans les musées ou les livres d'histoire de l'art. Le traitement pictural va les réunir dans un trait de pinceau unificateur, une épuration ou un tramage. | ||||||||||||
Les opérations qu'il fera subir à ces images seront multiples : hybridation, décoloration, superposition, simplification, agrandissement et bien d'autres procédés combinatoires encore. Et l'on va déceler, à travers ces manipulations plastiques, ses goûts pour d'autres artistes, anciens ou contemporains. L'artiste Sigmar Polke a en effet des passions pour certains de ses aînés ; outre l'influence qu'exerça sur lui Joseph Beuys lorsqu'il arriva à Düsseldorf, on sent chez lui une attirance pour Picabia et plus globalement pour l'esprit Dada, une admiration pour Duchamp et bien évidemment une espèce de vénération pour les immenses références que sont Dürer, Goya ou Picasso. | |||||||||||||
![]() | Mais le traitement physique qu'il fait subir à ses toiles reste exemplaire. Les supports, les matériaux, les médiums y sont nombreux et surprenants. Les travaux des années 80 qui composent la grande et magnifique salle d'exposition du rez-chaussée de la rétrospective de Baden-Baden, ont vu émerger une manière toute nouvelle de préparer les supports qui font que ses tableaux deviennent des objets à la fois complexes, précieux, fragiles, sans rien de comparable à ce que l'on a déjà vu chez d'autres artistes. Cette œuvre de 1988, ci-contre, intitulée Gangster, montre son chassis à travers un support transparent et travaillé. | ||||||||||||
Polke a utilisé pour ce support, comme pour celui de l'œuvre présentée au début de l'article, une toile très fine recouverte de plusieurs couches de laque qui vont à la fois le rendre rigide et translucide. L'effet produit est intéressant puisque ce tissu ainsi préparé est simultanément matière (épaisseurs variées), couleurs et teintes (travaillées dans la masse), liant (pour l'intégration de différents matériaux) et support (rôle unificateur). Ce rôle important et fédérateur du support sera délibérément mis en défaut et en danger par Polke . | |||||||||||||
![]() | En effet, les transparences mettent à nu la structure (porteuse) de l'œuvre ; une partie du moteur est visible sous le capot transparent : une façon de rendre compte du travail qui s'est fait. En fait, Polke, là aussi, n'est pas tout à fait où l'on croit l'attendre puisque les chassis ainsi dévoilés sont loin d'être traditionnels. Ils arborent dans leur presque nudité quelque chose de l'ordre de la création... Mais c'est dans le devenir de ces objets qu'il y a péril. Leur fragilité saute aux yeux. | ||||||||||||
La vignette ci-dessus est un détail de Gangster (en bas à droite de l'œuvre). Cette plaie dans le support ne semble pas être volontaire. Même si ce n'est pas forcément le cas de cette toile, on sait que Sigmar Polke prend des risques en travaillant ses œuvres. Cet artiste est connu pour avoir utilisé des matériaux dangereux ou interdits. La toxicité de ces produits fait partie de la démarche et son œuvre s'inscrit dans un champ expérimental. La sulfure jaune d'arsenic (l'orpiment) ou le vert de Schweinfurt, aujourd'hui impossible à trouver sur le marché pour sa dangerosité, intègrent les œuvres accrochées aux murs. Ces produits continuent à les attaquer. Polke s'inscrit ainsi dans la tradition d'une peinture du pharmakon qui est à la fois couleur, poison et remède. On a tenté d'enfermer Polke dans une pratique liée à l'alchimie, ce qu'il a récusé fermement. En revanche, sa peinture est bien corrosive et à plus d'un titre. Cet artiste n'occupe pas la boutique d'un alchimiste mais plutôt une droguerie où les images et les poudres, du fait de leur mélange produiraient des pétulances, des détonnations, des explosions d'intelligence, des feux d'artifice, des rires débridés, des ébullitions joyeuses et des merveilles plastiques. | |||||||||||||
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Illustrations : - Der Ritter II, 1992, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 75 - Gangster, 1988, 300 x 200 cm Collection Reiner Speck, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 65 - photographie de l'auteur - Polke als Droge, 1968, ©Sigmar Polke, extrait du catalogue Polke, eine Retrospektive,2007, p 187 Exposition Sigmar Polke, museum Frieder Burda | |||||||||||||