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22 février 2007 4 22 /02 /février /2007 08:32
Fleurs & Questions
Une rétrospective
du 22 février au 13 mai 2007


fischli-weiss1-400.jpg

Une rétrospective Fischli et Weiss au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris. Un bonheur. La dernière fois que nous avions vu une grande exposition de Fischli & Weiss, c'était au Centre Georges Pompidou en 1992. Plus modestement, et plus près de nous, ça se passait au Centre Culturel Suisse, en mai 2006 :
Fischli et Weiss en profitaient pour inviter de jeunes artistes suisses.

Peter Fischli et David Weiss sont donc des artistes suisses. De Zurich. Quand on est artistes, Zurich est loin d'être une ville neutre. Dans ce pays neutre, dans cette ville, artistiquement non neutre lorsqu'on est artistes et qu'on s'appelle Peter Fischli et David Weiss, il est difficile de ne pas porter l'héritage de 1916 et de l'Explosion du Cabaret Voltaire : Zurich, où Tristan Tzara fit naître Dada.

Comment aborder rétrospectivement le travail de ces deux artistes, tant ce qu'ils nous montrent depuis des années est protéiforme, déroutant, à la fois drôle (très drôle) et mélancolique ?
Le jeu d'équilibre n'est pas uniquement dans la série des Équilibres ; ces deux-là sont sans cesse sur le fil : comment ne pas tomber dans le ridicule avec l'utilisation pour leurs sculptures de petits objets de cuisine comme s'il s'agissait d'éléments destinés à la construction d'un monument commémoratif ? Comment ne pas tomber dans le banal ennuyeux avec des cartes postales (Vues) ou des images de parkings enneigés ou bien encore de couchers de soleil ? Comment opposer une crédibilité d'artistes en mettant en scène avec tant d'insistance le dérisoire, le rebut, le léger ?
Dans le catalogue de l'exposition du Centre Georges Pompidou de 1992, Jean de Loisy écrit :
« Cependant au jeu qui paraît présider à toutes leurs réalisations, à la feinte légèreté des œuvres se mêle une mélancolie véritable. Les miracles sont faits de bricolages approximatifs ; les merveilles du monde ne sont plus que des clichés dévoyés par des cartes postales : la morale ne sert qu'à expliquer comment travailler mieux pour produire plus ; les idéaux esthétiques prennent pour modèle la beauté stéréotypée des hôtesses de l'air ; l'art enfin est un pays aux frontières incertaines. »*

Peter Fischli et David Weiss se font connaître par leurs photographies d'
Équilibres (série de 1984-85 appelée Un après-midi tranquille, ci-dessous). Dans cette série, de petits objets s'émancipent de la trivialité en adoptant des poses de starlettes ou de fiers-à-bras qui défient avec humour les lois de la gravitation. Nous comprenons tout de suite qu'il s'agit du très fragile instant qui précéde la chute. Aucun enjeu apparent mais nous retrouvons nos yeux d'enfants et regardons ces objets pour la première fois à force de les avoir tant vus sans jamais les considérer.

Tous ces Équilibres sont montrés dans une longue salle et il faut être très attentifs car leurs
titres étonnants nous réservent quelques surprises : face à face, sur chacun des murs, parfois deux photographies identiques (la première de ma série ci-dessous) mais prises selon deux points de vue différents ; le titre de l'une est :"L'apparition" et le titre de l'autre : "Les contrebandiers"... (je viens de m'apercevoir que cette photographie porte un autre titre dans le catalogue de l'exposition de 1992 : "Les hors-la-loi" !).
Le phénomène va se répéter pour une autre dont deux états, l'un en couleurs, l'autre en noir et blanc, porteront des titres différents selon que ces photographies sont accrochées sur l'un ou l'autre mur : "L'Homme au chagrin incessant" / "Retour à la maison le soir".
Je ne résiste pas au plaisir d'en citer un autre qui fonctionne comme un collage, peut-être un hiatus ou une explosion : "Madame Poire apportant à son époux une chemise fraîchement repassée pour une soirée à l'opéra. Le garçon fume" .
Il faudrait s'attarder plus longuement sur les titres des œuvres.
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Stiller Nachmittag, (Un après-midi tranquille)

Fischli raconte l'étape suivante, celle qui a vu l'émergence de Der Lauf der Dinge (Le cours des choses) :

« Nous avons découvert lorsque nous construisions ces objets équilibrés que, naturellement, après de brefs moments, ils s'effondraient toujours. Aussi était-ce d'une certaine façon une idée provocante que d'utiliser l'énergie de leur effondrement. Ce fut l'impulsion qui donna naissance au film. »**


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Ce film Der Lauf der Dinge (photogrammes ci-dessus) va fortement impressionner. Il dure trente minutes et est tourné dans une sorte de hangar laissé en l'état. Des objets de rebut, soigneusement préparés sont alignés, organisés selon une chaîne qui va être filmée, en travelling, caméra à l'épaule. Le principe est qu'un objet, du fait de son déplacement, du déséquilibre qu'il va subir, de la modification de son état, va enclencher le mouvement suivant qui va entraîner à son tour un autre de ces objets selon des modalités variables reposant sur des propriétés physiques voire chimiques des acteurs-objets. Et cela sans discontinuer. Ces objets donnent l'impression d'être vivants, autonomes. La précision est époustouflante ; il s'agit quasiment d'une mécanique d'horlogerie et ce qui est amusant c'est que le spectateur sait ce qui va se produire, le voit avant que cela ne se produise mais ne sait jamais exactement quand. Le jeu sur le temps et la coincidence avec l'effet sont d'une grande subtilité. Ajoutons qu'un travail sur le son, et notamment l'amplification que les artistes lui font subir, donne une épaisseur, une solennité à ces pauvres objets décatis et abandonnés. La mise en scène, l'inventivité, la mécanique de précision, le montage du film créent le miracle qu'évoquait Jean de Loisy.

Ce film est présenté en très grand format, dans une très grande salle. Le «making-off», très instructif, se regarde dans la même pièce, sur un autre mur. Mais le spectacle n'est pas que sur les murs : il faut se retourner, discrétement, et observer les spectateurs émerveillés, qui sont tenus en haleine et éclatent de rire, tant le cours des choses nous fait retrouver nos yeux d'enfants et nous concerne tous.


fischli-weiss-camion-250.jpg Cette rétrospective Fischli et Weiss est donc un bonheur même s'il manque des pièces au puzzle, comme les centaines de diapositives de couchers de soleil... ou cette petite scène (tout en caoutchouc) avec un camion et deux hommes (Fischli et Weiss ?) accompagnés d'un tuyau qui plonge dans le sol et d'un trou.
Bon, je crois que je vais continuer demain : il y a beaucoup de choses dont je n'ai pas parlé.

En cadeau : une minute 20 de
Der Lauf der Dinge (il faut avoir Real Player)
 


Musée d'Art moderne de la Ville de Paris (MAMVP), du 22 février au 13 mai 2007
photographies :

- Blume, 1984 impression, 66 x 99 cm, © Copyright: Peter Fischli / David Weiss, photo: Courtesy the artists, Galerie Eva Presenhuber, Zurich.

-montage à partir de portraits de David Fischli et Peter Weiss, photographies extraites de site LWL
-Equilibres / Stiller Nacmittag (un après-midi tranquille), série, à peu près 40 photographies, 300 x 400 mm, Courtesy Matthew Marks Gallery, New York & Galerie Eva Presenhuber, Zürich & Monika Sprüth Philomene Magers, Cologne/Munich/London & the artists.
- Der Lauf der Dinge (le cours des choses), photogrammes, 16 mm film, 30mins, exh. copy T & C Film, Zürich
-Égoutiers, caoutchouc, artificiel, 265 x 475 x 190 mm, Courtesy
David Fischli et Peter Weiss

Un certain nombre d'images présentées sur cette page proviennent du site de la Tate, de Londres où l'exposition s'est tenue avant d'arriver à Paris.



textes :

*
catalogue de l'exposition Peter Fischli David Weiss, Éditions du Centre Georges Pompidou, 1992, p 11
*
*catalogue de l'exposition Peter Fischli David Weiss, Éditions du Centre Georges Pompidou, 1992, p 23

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