Seconde main, MAMVP | |||||
Seconde main est le titre d'une très singulière exposition que l'on peut voir en ce moment même au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris. Moins médiatisée que Dynasty (qui se tient actuellement au même endroit ainsi qu'au Palais de Tokyo, juste en face), elle n'en est pas moins intéressante. Le parti-pris de cet accrochage est de montrer , au sein des collections permanentes, des œuvres qui ont la particularité de se présenter comme des sosies, des doubles, des répliques ou toutes autres formes de bégaiements plastiques qui s'avèrent être des conséquences d'initiatives ou d'intentions variées. Face à ce que l'on identifie comme un objet qui prend l'apparence d'un autre qui existe déjà, nous sommes sommés de réagir, de nous poser des questions, de comprendre l'intérêt de l'existence de ce que nous avons devant les yeux, d'y déceler des différences, d'envisager la démarche qui a animé son re-créateur et in fine, de nous interroger sur la question de la définition de l'œuvre d'art. La sélection des œuvres présentées va des années soixante à nos jours. | |||||
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Disons d'emblée que cette exposition évite deux écueils : d'une part le parcours pour initiés et de l'autre, l'expo terrain de jeux, chasse-au-trésor, de type "entertainment" qui a tant d'adeptes ces temps-ci. Un disque rose "seconde main" (7), très visible, est systématiquement placé à côté du cartel de chaque œuvre de l'exposition temporaire, ce qui permet instantanément d'identifier les pièces rapportées qui colonisent les collections permanentes. | |||||
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Il y a quelques jours j'avais évoqué un artiste, Mike Bidlo, dont le travail est bien représenté ici puisque c'est quelqu'un qui fait partie de ce courant étiqueté comme appropriationniste. L'activité de Mike Bidlo consiste à répéter des œuvres. Qu'y a-t-il d'intéressant à développer une telle pratique ? Tout d'abord, rappelons que le fait de reproduire une œuvre -quelle qu'elle soit- relève de l'exercice auquel tous les artistes, globalement, se sont livrés. Cela fait partie des coutumes et des apprentissages : on se mesure à ses pairs, à ses aînés et par la pratique de la copie, on apprend. Il s'agit évidemment, à terme, de dépasser ce qui n'est qu'une étape. Certains, comme Mike Bidlo, vont transformer cette pratique de la copie en démarche artistique. On s'aperçoit que Bidlo s'attaque à des œuvres d'artistes qui ont déjà intégré une réflexion sur l'interprétation de peintres majeurs (comme Picasso, 1, 2), sur la pratique de la copie ou de la série (comme Warhol, 3/5) ou encore sur la production d'objets post-duchampiens qui ont ébranlé les conceptions de ce qui pouvait encore être une œuvre d'art (Manzoni, 6). Dans les années soixante Andy Warhol fait la copie -à l'échelle 1- de boîtes de savon Brillo qu'il fabrique à l'aide de plaques de contreplaqué assemblées sur lesquelles, au préalable, il aura imité à l'aide de la sérigraphie, la véritable apparence de ces boîtes si courantes dans les supermarchés. Ceci, à l'époque, a scandalisé. Quand Mike Bidlo, une trentaine d'années plus tard, procède à son tour à des "copies" (3/5) , on voit dans quelle lignée il se place. "Suivez mon regard" a-t-il l'air de dire à ses détracteurs... Le titre de cette œuvre est : NOT Warhol ( Brillo boxes). Ceci, en outre, ne manque pas d'humour. | |||||
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Anne Dressen qui est commissaire de Seconde main fut également à l'initiative de l'excellente exposition Sturtevant en février 2010 au MAMVP. Et c'est avec bonheur qu'on va retrouver des pièces de l'artiste au fil de notre visite. Ainsi ce Johns Flag for dea, 1991 (8,9) précéde de quinze ans le travail des appropriationnistes. Sturtevant en reprenant très tôt ce qu'elle identifie comme une icône de l'histoire de l'art (un Flag de Jasper Johns) produit une œuvre d'une grande qualité plastique (voir détail, 9), ce qui pour elle est important. Elle insiste d'ailleurs sur la qualité "d'original" de ses répliques. Inversement, la reproduction d'une œuvre peut également intégrer les conditions de sa présentation jusqu'à son parasitage : un Lichtenstein montré sous verre laissera apparaître son environnement dans ses reflets. Ainsi, en 2007, l'artiste chinois Zheng Guogu va représenter la célèbre toile de Roy Lichtenstein "Crak! Now, Mes Petits... Pour La France!" dans le contexte de la foire de Bâle (Basel N°20, 10, 11). On verra le reflet du photographe ou le texte des cartels alentour fidèlement reproduits à la peinture sur la toile (détail : 9). Ce qui est intéressant est le cadrage adopté par le peintre puisque les bordures de la toile véritable et celles de sa reproduction se superposent exactement ce qui ne permet pas immédiatement de la contextualiser mais favorise au contraire une réflexion sur la notion de réplique. Ajoutons que Zheng Guogu fait réaliser ses œuvres par des assistants (cette pratique étant très largement répandue en Chine) ce qui rend les choses encore plus complexes. Cette même toile ("Crak! Now, Mes Petits... Pour La France!") , comme une série d'autres, sera reproduite par Sophie Matisse en effaçant toute présence humaine ("Crak!", 2002, 12) ; à noter que Lichtenstein est quelqu'un qui, à son époque, s'était déjà approprié les trames et certaines formes de la bande dessinée. La réplique peut aussi s'apparenter à la reconstitution d'un espace qui n'existe plus et qui n'aura laissé de traces que grâce à une photographie . Une installation de Kasimir Malevich (13) - pseudonyme de l'artiste ayant repris le nom du célèbre suprématiste - répète "The Last Futurist Exhibition, 0.10" , exposition réalisée dans un appartement de Belgrade en 1985. Celle-ci imitait, soixante-dix ans après, une exposition portant le même titre, qui s'était tenue à Saint-Pétersbourg et avait révolutionné l'art moderne. Nous avons un autre exemple de la réactivation d'une œuvre perdue avec le travail d'Ernest T. qui a fabriqué un panneau signé Francis Picabia (18). La seule trace de l'existence de cet objet est une photographie où il apparait dans le mains d'André Breton . Le texte écrit par Picabia entre en parfaite résonnance et donne une sorte de légitimité à la réplique d'Ernest T. | |||||
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Les enjeux d'une réplique peuvent être fondés sur ce qu'il y a de plus essentiel dans une œuvre. En l'occurence, l'installation réalisée dans le plus grand secret sur laquelle Marcel Duchamp passa vingt ans, Étant donnés: 1. La chute d'eau, 2. Le gaz d'éclairage, (1946-1966), et que l'on ne peut voir au Musée d'art de Philadelphie qu' à travers deux trous percés dans une porte épaisse, a fait l'objet d'une reconstitution minutieuse et éblouissante par Richard Baquié. Cette pièce rare et fragile (14, 15) est visible dans l'exposition et permet d'accéder au détail d'un secret jalousement gardé par un artiste au delà de sa mort. Paradoxalement, copier une œuvre la révèle et, plus encore, en en exhibant la construction intime, en annule le sens. | |||||
Suite de la visite, prochainement (j'espère) | |||||
Artistes présentés | |||||
photos personnelles | |||||
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris 11, avenue du Président Wilson 75116 Paris | |||||
www.paris.fr | |||||