17 juillet 2008
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Miroslav Tichý | |||
Il y a actuellement au Centre Georges Pompidou à Paris une exposition bien singulière, c'est l'exposition Miroslav Tichý que j'ai évoquée ici. Je dois vous dire que dès que je suis entré dans cette exposition, j’ai eu une sensation assez étrange. Je connaissais vaguement l’histoire de Miroslav Tichý, mais sans plus. Et, de buter sur ces vitrines présentant ces appareils-photos improbables avec la légende qui les accompagne, voir ces petits bouts d’images, a priori, sans intérêt mais présentées comme des reliques et agrémentées d’explications justifiant leur intérêt, m’a donné l’impression d'être confronté à des pièces à conviction, à une volonté de montrer des preuves (tangibles) de l’existence de quelqu’un qui nous est soustrait (présenté comme sauvage, inaccessible). Comme si l’on cherchait à tout prix à me convaincre de la réalité de cet artiste. | |||
Et en lisant ces textes explicatifs dans ces vitrines, je me mets bizarrement à douter de l’existence de ce personnage dont la vie ressemble à un conte de fées. Exemple : «Ses lentilles étaient taillées dans du plexiglas, avant d'être polies avec du papier de verre, du dentifrice et de la cendre de cigarette,(...) » C'est une belle image romantique et l'on éprouve un plaisir à se représenter immédiatement cette figure isolée, inventive et géniale qui renvoie de l'artiste une image rassurante, sans compromis, fidèle à nos propres représentations de ce que doit être un artiste idéal, et lui procure, d'emblée, un capital de sympathie extraordinaire. Mais, néanmoins, à la lecture de cette légende dans la vitrine, je me dis, d'un point de vue strictement technique : si l’on frotte du plexiglas avec du papier de verre, on obtient une opacité. La lumière ne passe pas (ou mal) et on n'a aucune chance de réaliser une image au contenu identifiable. Bon, et puis cette idée du clochard génial, asocial, qui construit une œuvre sans véritablement en avoir conscience et qui a un « découvreur » : le grand, l’immense, Harald Szeemann, qui le fait connaître au monde entier, et qui en fait une vedette internationale d’un jour à l’autre : ça fait rêver. | |||
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Voilà cette idée parfaitement saugrenue qui s’ installe dans ma tête au moment où je rentre dans l’exposition : « Ce type est une invention parfaite » ; par jeu, et aussi avec une grande joie je me plais à en débusquer « les preuves » au fil de ma visite : -un truc objectivement « mal fait », mais trop chiadé, (il y a un côté «enlevé », un peu maniéré, je me dis.); une sorte de maniérisme, parfois, de préciosité du déchet, du rebut photographique. -une bordure de négatifs (avec ses petits trous) laissée sans raison apparente ou, pire, rajoutée, collée à côté de la photo découpée de femme (on voit une petite zone noire, fine triangulaire et bizarre, parasite, non justifiée techniquement). Etc. Une façon très "l'air de ne pas y toucher" dans l'apparente négligence. On n'arrive pas neutre dans une exposition. Nous sommes conditionnés par nos émotions esthétiques, par la sensibilité que nous portons intimement et qui régente, pour une grande part, le régime de nos réactions, mais il y a aussi , bien évidemment, ce que l'on sait, ce que l'on a vu auparavant dans d'autres expositions, ou ailleurs. Il faut savoir qu’il existe des impostures artistiques . Certaines sont annoncées comme telles et font l’objet d’œuvres d’artistes : une des plus connues est celle d’un photographe catalan : Joan FONTCUBERTA. Il s'agit d'un travail que je trouve extraordinaire ; travail composite fait de photographies (souvent retouchées, comportant des rajouts graphiques, parfois travaillées comme s'il s'agissait d'objets d'archives, portant des traces du vieillissement), de dessins, d'installations mimant des dispositifs d'organisation d'expositions (scientifiques ou artistiques), de textes, de sculptures, "d'interview" filmées, etc. Exemple : Il va travailler à l'invention d'un bestiaire extraordinaire, délirant, souvent drôle, mais dont il apportera les preuves dans les moindres détails. Ou bien, il prendra comme modèles les superbes tirages N/B du photographe allemand du XIXè siècle, Karl Blossfeldt qui photographiait de magnifiques plantes -comme s'il s'agissait de photographies d'architectures- , légendées avec des noms latins (non moins sublimes) ; Fontcuberta, lui, dans la série Herbarium, va en fabriquer de nouvelles, à l’identique, en combinant -de manière artisanale et soigneusement bricolée- des espèces impossibles à croiser ou en y introduisant -par des assemblages, très humoristiques mais difficiles à repérer au premier coup d'œil- des éléments animaux, par exemple. Et toujours de manière extrêmement crédible, bien sûr. Il existe, évidemment, d'autres démarches artistiques allant dans ce sens. | |||
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Cette sensation d’être face à l’œuvre d’un artiste inventé de toutes pièces m’a conduit à un certain nombre de réflexions sur le processus de fabrication d’un artiste (qu’il ait une existence physique ou non). Il existe un certain nombre d’ingrédients qui vont contribuer à la fabrication d'un artiste. Un mythe se créé (comme on a eu le mythe de l’artiste maudit ou du génie méconnu, un topos qui va faire consciencieusement son chemin) et ce mythe va être entretenu par un folklore. Ceci appliqué à Tichý donnerait : Ecole des Beaux-arts, désir d’être peintre. Le contexte : le régime d’oppression communiste . L’artiste refuse de s’intégrer et procède à un repli. On entame une phase relevant d’une sorte de romantisme de l’artiste maudit. L’internement en HP. L’exil. L’exclusion de l’atelier. La marginalité mentale et physique. La figure du solitaire. Le personnage sauvage du misanthrope, le Diogène. Le personnage est « habité » (ex ; il déclare p 151, catalogue : « Tout est régi par le rythme de la Terre. C’est ça qui est déterminé à l’avance. C’est ce qu’on appelle le destin») L’activité monomaniaque du génie isolé. L’abondance et la régularité de la production. Rapport trouble -voire inexistant- à la sexualité. Bricoleur de génie. Le geste artisanal. Autodidacte (en photographie) Néglige sa production artistique. Il est « découvert » par un grand qui, comme dans les contes de fées va le propulser vers la reconnaissance. Parallèle avec DUBUFFET et les artistes de l’art brut. Ne souhaite pas profiter du succès et continue à vivre de la même manière. Est exposé « contre son gré » Fabrique des pièces uniques (vintage) L’idée d’authenticité, L’idée de la force de l’instinct. L’acte de création assimilé à une pulsion (l’art est au dessus de tout, il commande) Un événement fondateur, à l'origine de sa création : le traumatisme qu'il vit à la suite de son expulsion de l'atelier en 1972, et qui va déclencher l'activité créatice. Des artistes contemporains importants s'intéressent à lui, comme Arnulf Rainer par exemple, avec qui il échangera des œuvres. Toutes ces composantes sont prêtes à faire œuvre. Il s'agit d'organiser les pièces matérielles de cette œuvre potentielle pour la rendre lisible, la divulguer et lui donner une force et une crédibilité puisque lui, de toute façon, ne s'en chargera pas. | |||
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Alors qui est-il ce Miroslav Tichý, finalement ? Une construction pure ? Une invention ? Un véritable artiste ? Avant tout, il faut regarder les œuvres. C'est elles qui doivent éclairer notre appréciation et fonder notre jugement. Le reste relève du folklore. Même si ces œuvres, pour certaines d'entre elles -le contexte chaotique de la vie de Tichý s'y prêtant- peuvent avoir été assemblées, ordonnancées par un tiers (bouts de photos collés a posteriori sur de vieux supports abandonnés par Tichý, par exemple ; c'est une hypothèse parmi d'autres, tout peut être imaginé), force est de constater que beaucoup de ces photographies sont extrêmement belles et provoquent une émotion esthétique. Leur qualité et leur dimension plastique sont incontestables. Leurs faiblesses techniques produisent paradoxalement un excédent qualitatif et puis surtout, au lieu d'y voir simplement la matérialisation d'une concupiscence, c'est toute l'étendue d'un désastre existentiel qu'elle nous dévoilent. L'expression d'un tourment profond, poussé à l'excès, dénué ici de toute pudeur, va provoquer, sans doute, une sorte de compassion, mais surtout un élan, une empathie (artistique) faite d'identification à des pensées intimes et des désirs partagés par tous. Toutes ces données, troubles et fortes confondues, font que nous entrons dans l'épaisseur d'une véritable dimension artistique. Alors, rassurez-vous, braves gens : Miroslav Tichý existe bien. On l'a rencontré. Il y a des preuves. | |||
Mais de Miroslav Tichý, il y a également tout ce qu'on a fait de lui récemment, à son insu, et selon des catégories d'intérêt parfaitement étonnantes ; l'œuvre d'un artiste, à partir du moment où elle est diffusée ne lui appartient plus totalement. Je terminerai donc par quelques exemples trouvés au hasard des visites sur l'internet, devenu notre village : | |||
Je me rends compte que je voulais évoquer plus largement le processus de fabrication d'un artiste -en étendant le propos et en évoquant notamment les processus de réseaux actuels, parfaitement opposés à celui-ci- mais j'ai continué à parler de Miroslav. Sacré bonhomme. Dernier truc : on a retrouvé un document dans lequel on voit l'artiste jeune et déjà plein de talent : ici. | |||
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Non, en fait, c'était l'avant-dernier ; le dernier truc, le voici : dans le cadre de l'exposition Tichý, une copine me suggère l'idée qu'il serait nécessaire de développer une action en direction du jeune public. Elle propose la plaquette suivante. | |||
«Bon arrête, c'est pas drôle : tu respectes rien, d'abord...» | |||
Miroslav TICHÝ 25 juin au 22 septembre 2008 Musée, Galerie d'art graphique Centre Georges Pompidou, Paris | |||