| Ron Mueck Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa du 2 mars au 6 mai 2007 |
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Pour la première fois, l'espace-holbein présente une exposition que son auteur n'a pas vue : l'exposition Ron Mueck qui se tient actuellement au musée des beaux-arts d'Ottawa. C'est en pensant à nos amis Canadiens et à l'excellent souvenir que m'a laissée la visite de l'exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier, à Paris, en décembre 2005, que j'ai pris cette décision de mettre en ligne le billet que j'avais écrit à l'époque pour Lunettes Rouges, bien longtemps avant d'ouvrir mon propre espace. Cette exposition d'Ottawa ne ressemble probablement pas à celle que j'ai visitée à la Fondation Cartier mais ma perception de cet artiste ne devrait pas être radicalement différente. |
| le 20 décembre 2005 |
| Après “J’en Rêve”, la Fondation Cartier nous gratifie à nouveau d’une remarquable exposition en nous présentant, pour la première fois en France, l’étonnant travail de ce sculpteur australien, Ron Mueck. Cinq sculptures seulement sont présentées pour cette occasion, sept personnages en tout. Mais l’effet qu’elles produisent justifie qu’un gardien (sinon deux, parfois) surveille chacune d’entre elles. Cet effet est saisissant; troublant serait un mot encore plus juste. Ron Mueck fabrique des géants de chair nue aux regards vagues et inquiets, ou bien des petits personnages de moins d’un mètre de haut, mais qui exercent sur nous une autorité sans limite. |
Depuis la rue, nous apercevons déjà le géant hirsute et gauche, maladroitement installé en équilibre sur le rebord d’un tabouret, le bout de ses pieds touchant à peine le sol. L’enveloppe de verre de l’architecture de Jean Nouvel le met remarquablement en valeur : la lumière et la végétation l’enveloppent. Il est, pour ainsi dire, seul dans le dépouillement de sa nudité au milieu de cette cage de verre. Au fur et à mesure que l’on s’approche, ses proportions grandissent de manière inquiétante et lorsque nous arrivons devant lui, nous butons sur un être extrêmement imposant (quasiment trois mètres de haut, assis) et qui pourtant donne de lui une apparence si fragile. |
| Ce corps qui aimante notre regard est traité avec une immense minutie, une immense attention dans l’exacte observation de la réalité des chairs. Aussi bien l’élasticité que la transparence de la carnation, dans tout le détail et la variété des teintes, sont rendues de manière si juste que ceci produit un trouble que l’on va retrouver jusque dans le regard de ceux qui sont autour de nous. |
Les veines bleutées, tendues, du fait de la position du modèle, l’empreinte vaguement quadrillée aux coudes d’un vêtement qui vient d’être enlevé, l’apparente humidité des yeux concourent à produire chez nous ce trouble, parfois jusqu’à la gêne, tant l’intimité se livre. |
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| Dans le même espace, le visage d’une femme noire est accroché au mur blanc, tel un masque, traité de la même manière : énorme, imposant (Ron Mueck, avait déjà travaillé son autoportrait de la même manière, autoportrait qu’il avait intitulé masque, d’ailleurs ; ci-contre). Et puis, très discrètement, face à l’autre mur, deux petites sculptures délicates (qui n’en font qu’une) représentant un couple miniature, couché sur le flanc, emboîté, où domine une impression à la fois de proximité, d’habitude et aussi d’indifférence, et peut-être bien d'éloignement. (ci dessous). |
| Tout est ici fabriqué, organisé avec une extraordinaire minutie : chaque cheveu est implanté isolément, les flétrissures et la couleur de la plante des pieds sont le fruit d’une observation et d’un travail hors du commun. Là, également, le même trouble est perceptible et nous renvoie à notre condition humaine. |
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Un autre personnage couché nous attend lorsque l’on pénètre dans le deuxième espace de l’exposition : “In Bed” (ci-dessous) est une sculpture monumentale occupant quasiment tout le volume de cet espace (6,50m X 3,95m X 1,62m). Une femme dans son lit se présente à nous dans un état intermédiaire; certains diront qu’elle se réveille. Elle n’est pas tout à fait couchée et se tient la joue. C’est une femme pensante, inquiète aussi, mais animée d’une pensée sûrement informulée, une pensée tournée vers elle-même, un regard tourné vers l’intérieur, indifférent à ce qui l’entoure. Un mur invisible nous sépare d’elle dans toute son intimité. |
Enfin, un peu plus loin, deux vieilles femmes discutent, nous ignorant, nous les regardeurs occupés autour d’elles à observer l’implantation de leurs cheveux, les vêtements râpés qu’elles portent (faits sur mesure par des couturières), le pli des bas, les chaussures de tennis éculées modelées en fibre de verre, les yeux brillants et malicieux, les petits poils raides et blonds sur la lèvre supérieure. Elles vont se mettre à parler tant le frémissement de leurs gestes est perceptible. On est tenté de s’approcher, et l’on s’approche de très près. La gardienne de la Fondation Cartier, chargée de surveiller ces deux petites vieilles, veille : elle intervient vivement à chaque fois que cette intimité risque d’être perturbée par un geste approximatif… Ces deux vieilles dames (dernière image de ce billet), si vivantes, ne font que 85cm de haut. Ce détail est important. En effet, on serait tenté de parler de réalisme ou d’hyperréalisme en considérant les sculptures de Ron Mueck… |
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| Il s’agit de ne pas faire ce contresens pour au moins une raison : les géants font de quatre à cinq mètres de haut (à l’instar de Boy, montré à la Biennale de Venise en 2001, à la demande du regretté Harald Szeemann) et les petits êtres si réalistes, hyper présents jusqu’à la gêne, ne sont pas plus grands que mon bras. Jamais, jusqu’à présent, Ron Mueck n’a produit de personnage à l’échelle 1. Nous ne nous situons ni dans le réalisme, ni dans l’hyperréalisme pratiqué dans les années 70. |
En effet, à l'inverse de Ron Mueck, Duane Hanson ou John de Andrea utilisaient pour leurs sculptures de touristes ou de clochards, des objets et vêtements usés, réels, empruntés au quotidien pour des personnages de notre taille qui pouvaient sembler nos égaux ou nos semblables. C’est peut-être bien cela qui crée cette tension, cette fascination aussi. Nous nous reconnaissons (?) dans notre chair, dans son exactitude ainsi que dans ses défauts, mais tout est maintenu à distance, car précisément cette distance n’est jamais la bonne; cette distance est fluctuante d’un personnage à l’autre, tout comme la taille des sculptures. Et ceci produit un phénomène extrêmement troublant, de l’ordre d’une certaine lenteur. Une oeuvre qu’il semble impossible, pour qui le souhaiterait, de consommer en urgence comme on peut être amené à le faire pour un certain nombre d’entre elles lorsque nous visitons les galeries régulièrement. Les états de passage, qui se manifestent tantôt par un demi-sommeil, une semi conscience, un regard vague, ou bien, de manière plus radicale, par une naissance ou même par la mort (comme à l’occasion de l’exposition Sensation à Londres en 1997) et qui sont organisés pour ces corps et ces visages par Ron Mueck, favorisent un temps d’observation qui s’étire et s’installe. Il suffit d’observer les gens qui les regardent. |
 | Cet artiste virtuose qui travaille des mois sur une même sculpture n’est jamais dans l’anecdote, mais inscrit son travail dans une démarche beaucoup plus essentielle. L’art de Ron Mueck n’est pas, non plus, un art de la provocation (même s’il fut débusqué par Charles Saatchi dans le cadre de l’exposition Sensation déjà mentionnée) mais ce serait plutôt un art habité d’un pouvoir d’évocation. |
Ron Mueck est un artiste qui est en train de renouveler considérablement la sculpture contemporaine ; ce renouvellement passant, pour l’occasion, par un changement de continent : en effet, si la grande peinture moderne et contemporaine s’origine sur le continent américain, la sculpture faisant date à notre époque est européenne et plus précisément britannique. Rappelons-nous les oeuvres d’Anthony Caro, de Richard Long, de Bill Woodrow ou encore de Tony Cragg. Ron Mueck, l’Australien (mais travaillant à Londres), à l’occasion de ce renouvellement, fait un retour à la figure humaine, renouant ainsi avec la tradition de la mimésis dans son expression la plus rigoureuse, mais aussi la plus fascinante. Ces êtres de chair, faits de fibre de verre et de silicone - mais aussi les regardeurs qui les observent avec tant d’intensité - méritent d’y aller voir de plus près. |
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illustrations : - Big Man, ©Ron Mueck, extrait du catalogue de l'exposition Mélancolie, Paris, 2005, p 492 - Wild Man , ©Ron Mueck, extrait du site de la Fondation Cartier, Paris - Mask, autoportrait, ©Ron Mueck, extrait du catalogue de l'exposition, p 77 - Spooning Couple, ©Ron Mueck, emprunté au site Drine Déblog - In Bed, ©Ron Mueck, emprunté au site Casafree.com - Two Women, ©Ron Mueck, emprunté au site Drine Déblog site du Musée des Beaux-arts du Canada |
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