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20 juillet 2008 7 20 /07 /juillet /2008 11:33
Quelques fractions de secondes d'inconscience

 
       

  Edison Kinetoscopic Record of a Sneeze (ou Fred Ott's Sneeze). 1894. Premier film américain a avoir obtenu un droit d'auteur
origine
 Film : 5 secondes (clic sur le nez du monsieur)
origine

 
    Remake du film, Paul Mountcastle
ironicsans.com
 
       




   art.....TCHOUM...    








       
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19 juillet 2008 6 19 /07 /juillet /2008 18:48
 P.h.o.t.o.g.r.a.p.h.i.e.
 

Leslie Krims
«Spitting out the Word  P.h.o.t.o.g.r.a.p.h.y.»
1970



La photographie américaine, 1958-1981
The last photographic heroes

Gilles MORA,
Seuil, Paris, 2007, p97

 
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17 juillet 2008 4 17 /07 /juillet /2008 07:57
Miroslav Tichý
  Il y a  actuellement au Centre Georges Pompidou à Paris une exposition bien singulière, c'est l'exposition Miroslav Tichý que j'ai évoquée ici.
Je dois vous dire que dès que je suis entré dans cette exposition, j’ai eu une sensation assez étrange.
Je connaissais vaguement l’histoire de
Miroslav Tichý, mais sans plus.
Et, de buter sur ces vitrines présentant ces appareils-photos improbables avec la légende qui les accompagne, voir ces petits bouts d’images, a priori, sans intérêt mais présentées comme des reliques et agrémentées d’explications justifiant leur intérêt, m’a donné l’impression d'être confronté à des pièces à conviction, à une volonté de montrer des preuves (tangibles) de l’existence de quelqu’un qui nous est soustrait (présenté comme sauvage, inaccessible). Comme si l’on cherchait à tout prix à me convaincre de la réalité  de cet artiste.

Et en lisant ces textes explicatifs dans ces vitrines, je me mets bizarrement à douter de l’existence de ce personnage dont la vie ressemble à un conte de fées.
Exemple :
«Ses lentilles étaient taillées dans du plexiglas, avant d'être polies avec du papier de verre, du dentifrice et de la cendre de cigarette,(...) »
C'est une belle image romantique et l'on éprouve un plaisir à se représenter immédiatement
cette figure isolée, inventive et géniale qui renvoie de l'artiste une image rassurante, sans compromis, fidèle à nos propres représentations de ce que doit être un artiste idéal, et lui procure, d'emblée, un capital de sympathie extraordinaire. Mais, néanmoins, à la lecture de cette légende dans la vitrine, je me dis, d'un point de vue strictement technique  : si l’on frotte du plexiglas avec du papier de verre, on obtient une opacité. La lumière ne passe pas (ou mal) et on n'a aucune chance de réaliser une image au contenu identifiable.
Bon, et puis cette idée du clochard génial, asocial,  qui construit une œuvre sans véritablement en avoir conscience et qui a un « découvreur » : le grand, l’immense, Harald Szeemann, qui le fait connaître au monde entier, et qui en fait une vedette internationale d’un jour à l’autre : ça fait rêver.



 
Voilà cette idée parfaitement saugrenue qui s’ installe dans ma tête au moment où je rentre dans l’exposition : « Ce type est une invention parfaite » ; par jeu, et aussi avec une grande joie je me plais  à en débusquer « les preuves »  au fil de ma visite :
     -un truc objectivement « mal fait », mais trop chiadé, (il y a un côté  «enlevé », un peu maniéré, je me dis.); une sorte de maniérisme, parfois, de préciosité du déchet, du rebut photographique.
   -une bordure de négatifs (avec ses petits trous) laissée sans raison apparente ou, pire, rajoutée, collée à côté de la photo découpée de femme  (on voit une petite zone noire, fine triangulaire et bizarre, parasite, non justifiée techniquement). Etc. Une façon très "l'air de ne pas y toucher" dans l'apparente négligence.


On n'arrive pas neutre dans une exposition. Nous sommes conditionnés par nos émotions esthétiques, par la sensibilité que nous portons intimement et qui régente, pour une grande part, le régime de nos réactions, mais il y a aussi , bien évidemment, ce que l'on sait, ce que l'on a vu auparavant dans d'autres expositions, ou ailleurs. Il faut savoir qu’il existe des impostures artistiques . Certaines sont annoncées comme telles et font l’objet d’œuvres d’artistes : une des plus connues est celle d’un photographe catalan : Joan FONTCUBERTA. Il s'agit d'un travail que je trouve extraordinaire ; travail composite fait de photographies (souvent retouchées, comportant des rajouts graphiques, parfois travaillées comme s'il s'agissait  d'objets d'archives, portant des traces du vieillissement), de dessins, d'installations mimant des dispositifs d'organisation d'expositions (scientifiques ou artistiques), de textes, de sculptures, "d'interview" filmées, etc.
Exemple : Il va travailler à l'invention d'un
bestiaire  extraordinaire, délirant, souvent drôle, mais dont il apportera les preuves dans les moindres détails. Ou bien, il prendra comme modèles les superbes tirages N/B du photographe allemand du XIXè siècle, Karl Blossfeldt qui photographiait de magnifiques plantes -comme s'il s'agissait de photographies d'architectures- , légendées  avec des noms latins (non moins sublimes) ;  Fontcuberta, lui, dans la série Herbarium, va en fabriquer de nouvelles, à l’identique, en combinant -de manière artisanale et soigneusement bricolée- des espèces impossibles à croiser ou en y introduisant -par des assemblages, très humoristiques mais difficiles à repérer au premier coup d'œil- des éléments animaux, par exemple. Et toujours de manière extrêmement crédible, bien sûr.
Il existe, évidemment, d'autres démarches artistiques allant dans ce sens.




 
Cette sensation d’être face à l’œuvre d’un artiste inventé de toutes pièces m’a conduit à un certain nombre de réflexions sur le processus de fabrication d’un artiste (qu’il ait une existence physique ou non).

Il existe un certain nombre d’ingrédients qui vont contribuer à la fabrication d'un artiste.
Un mythe se créé (comme on a eu le mythe de l’artiste maudit ou du génie méconnu, un topos qui va faire consciencieusement son chemin) et ce mythe va être entretenu par un folklore.
Ceci appliqué à
Tichý donnerait :
Ecole des Beaux-arts, désir d’être peintre.
Le contexte : le régime d’oppression communiste .
L’artiste refuse de s’intégrer et procède à un repli.
On entame une phase relevant d’une sorte de romantisme de l’artiste maudit.
L’internement en HP.
L’exil.
L’exclusion de l’atelier.
La marginalité mentale et physique.
La figure du solitaire.
Le personnage sauvage du misanthrope, le Diogène.
Le personnage est « habité » (ex ; il déclare p 151, catalogue : « Tout est régi par le rythme de la Terre. C’est ça qui est déterminé à l’avance. C’est ce qu’on appelle le destin»)
L’activité monomaniaque du génie isolé.
L’abondance et la régularité de la production.
Rapport trouble -voire inexistant- à la sexualité.
Bricoleur de génie.
Le geste artisanal.
Autodidacte (en photographie)
Néglige sa production artistique.
Il est « découvert » par un grand qui, comme dans les contes de fées va le propulser vers la reconnaissance. Parallèle avec DUBUFFET et les artistes de l’art brut.
Ne souhaite pas profiter du succès et continue à vivre de la même manière.
Est exposé « contre son gré »
Fabrique des pièces uniques (vintage)
L’idée d’authenticité,
L’idée de la force de l’instinct.
L’acte de création assimilé à une pulsion (l’art est au dessus de tout, il commande)
Un événement fondateur, à l'origine de sa création : le traumatisme qu'il vit à la suite de son  expulsion de l'atelier en 1972, et qui va déclencher l'activité créatice.
Des artistes contemporains importants s'intéressent à lui, comme Arnulf Rainer par exemple, avec qui il échangera des œuvres.

Toutes ces composantes sont prêtes à faire œuvre. Il s'agit d'organiser les pièces matérielles de cette œuvre potentielle pour la rendre lisible, la divulguer et lui donner une force et une crédibilité puisque lui, de toute façon, ne s'en chargera pas.





 
Alors qui est-il ce Miroslav Tichý, finalement ?  Une construction pure ? Une invention ? Un véritable artiste ?
Avant tout, il faut regarder les œuvres. C'est elles qui doivent éclairer notre appréciation et
fonder notre jugement. Le reste relève du folklore. Même si ces œuvres, pour certaines d'entre elles -le contexte chaotique de la vie de Tichý s'y prêtant-  peuvent avoir été assemblées, ordonnancées par un tiers (bouts de photos collés a posteriori sur de vieux  supports abandonnés par Tichý, par exemple ; c'est une hypothèse parmi d'autres, tout peut être imaginé), force est de constater que  beaucoup de ces photographies sont extrêmement belles et provoquent une émotion esthétique. Leur qualité et leur dimension plastique sont incontestables. Leurs faiblesses techniques produisent paradoxalement un excédent qualitatif et puis surtout, au lieu d'y voir simplement la matérialisation d'une concupiscence, c'est toute l'étendue d'un désastre existentiel qu'elle nous dévoilent. L'expression d'un tourment profond, poussé à l'excès, dénué ici de toute pudeur, va provoquer, sans doute, une sorte de compassion, mais surtout un élan, une empathie (artistique) faite d'identification à des pensées intimes et des désirs  partagés par tous. Toutes ces données, troubles et fortes confondues, font que nous entrons dans l'épaisseur d'une véritable dimension artistique.

Alors, rassurez-vous, braves gens :
Miroslav Tichý existe bien. On l'a rencontré. Il y a des preuves.
 
 
 
Mais de Miroslav Tichý, il y a également tout ce qu'on a fait de lui récemment, à son insu, et selon des catégories d'intérêt parfaitement étonnantes ; l'œuvre d'un artiste, à partir du moment où elle est diffusée ne lui appartient plus totalement. Je terminerai donc par quelques exemples trouvés au hasard des visites sur l'internet, devenu notre village :
 
       
       
Je me rends compte que je voulais évoquer plus largement le processus de fabrication d'un artiste -en étendant le propos et en évoquant notamment les processus de réseaux actuels, parfaitement opposés à celui-ci- mais j'ai continué à parler de Miroslav. Sacré bonhomme.

Dernier truc : on a retrouvé un document dans lequel on voit l'artiste jeune et déjà plein de talent :
ici.
       

Non, en fait, c'était l'avant-dernier ; le dernier truc, le voici : dans le cadre de l'exposition Tichý, une copine me suggère l'idée qu'il serait nécessaire de développer une action en direction du jeune public. Elle propose la plaquette suivante.
       
       
«Bon arrête, c'est pas drôle : tu respectes rien, d'abord...»
       
 
Miroslav TICHÝ

25 juin au 22 septembre 2008

Musée, Galerie d'art graphique
Centre Georges Pompidou, Paris
       
       
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16 juillet 2008 3 16 /07 /juillet /2008 08:09
Miroslav Tichý
  Il y a  actuellement au Centre Georges Pompidou à Paris une exposition bien singulière.
Il faut aller au 4è étage et se diriger vers ce que l’on appelle le Cabinet d’art graphique, tout au bout à l’étage.
C’est là que sont exposées les photographies de Miroslav
Tichý.
Pour être clair, il ne s’agit pas uniquement d’une exposition des photographies de Miroslav
Tichý mais plutôt de la mise en scène de la figure d’un artiste bien particulier, de la création d'un personnage d’artiste que l’on tiendrait à définir par le côté extraordinaire de sa vie, de son apparence, de son comportement.
Un des signes renvoyant à ce que je viens de dire se retrouve d’emblée dans le mode d’installation de l’exposition, dans l’accrochage : En effet, dès que l’on pénètre dans le petit sas donnant accès aux salles, on tombe sur deux vitrines qui présentent les « outils » de l’artiste ainsi que des objets personnels.
Ces outils sont, au demeurant, très étonnants : il s’agit notamment d’appareils photographiques entièrement fabriqués par Tichý lui-même, des appareils faits de boîtes de carton, de tubes de récupération avec assemblages de sparadraps, élastiques et autres lacets, etc.
Ce sont des objets qui ressemblent à des appareils photo mais qui sont faits dans des matériaux pire que pauvres et qui ont une apparence « trash », des sortes d’objets relevant plus du détritus que de l’objet d’usage courant. Ces appareils photographiques ainsi que des bouts de photos écornées, déchirées, tachées, fragmentaires, sans qualité et puis des portraits de lui  en clochard sont les premiers éléments sur lesquels nous butons en arrivant dans l’exposition.
Comme des pièces à conviction.
Lorsqu'on expose un
photographe, ce n’est généralement pas ce qu’on montre, d’emblée, de l’œuvre de  artiste. Il y a là un procédé d’exposition dont on se sent immédiatement captifs.

Cette curieuse approche m'a amèné à m'interroger sur le photographe lui-même, sur sa vie et la nature de son travail.
 
Miroslav
Tichý est aujourd'hui un monsieur de 82 ans. Tchèque, né en Moravie. A priori, il vit toujours dans sa petite ville natale de Kyjov. Personnage sauvage, replié sur lui-même, évitant tout contact.
Pour l’anecdote, il faut savoir qu’en tchèque « tichý » signifie «silencieux ». Il porte donc un nom prédestiné qui tend à épaissir le mystère autour de ce personnage.

C’est Harald Szeemann (aujourd’hui décédé), le grand commissaire d’expositions internationales, H.Szeemann qui le présente en 2004 à Séville à l’occasion de la Biennale.
Rappelons, tout de même qu'Harald Szeemann, est une figure de premier plan, quelqu’un d’exceptionnel dans le monde de l’art contemporain : « Quand les attitudes deviennent forme », 1969, Berne : c’est lui . Il fait découvrir, à cette occasion, au monde entier, des tas d’artistes extrêmement importants qui comptent encore aujourd’hui parmi les fondateurs de l’art contemporain : Joseph Beuys, Richard Serra, Pistoletto, Buren, Sarkis, etc.).
Et là, à la suite de cette présentation de Séville, une rimbambelle d’expositions Miroslav
Tichý  ont lieu dans des lieux prestigieux :
-    le Kunsthaus Zurich
-    Prix Découvertes aux Rencontres internationales de Photographie d’Arles
-    Les institutions lui achètent des photos aussi bien en Europe qu’aux USA, etc.

Alors qui est-il ce Miroslav
Tichý ? Que sait-on de lui ?

Il est né en 1926 en Moravie. Il passe à l’École des Beaux-arts de Prague et entame une carrière de peintre.
En 1948, c’est la prise de pouvoir par un régime communiste et
Tichý adopte une position de repli.
Dans les années 1950, il retourne vivre dans son village natal de Kyjov et s’initie (seul) à la photographie.
C’est là qu’il va fabriquer ses propres outils de prise de vue avec du matériel de rebut (boîtes de conserves, verres de récupération, carton à chaussures, etc.).
C’est ce qu’on voit dans la vitrine, lorsqu'on arrive dans l'exposition.
Pendant 30 ans ou un peu plus, (jusqu’à la fin des années 1980) il vit isolé , tel un ermite et va photographier de manière monomaniaque , tous les jours, les femmes de Kyjov. Et il va développer ses photos lui-même avec les moyens du bord ; des moyens bricolés, comme ses appareils photos. Les résultats sont des objets très singuliers, approximatifs, flous, non cadrés (ou peu),  Des objets photographiques sans valeur objective. Il va coller ses petits bouts de photos dans des cadres en carton qu’il redessine, qu’il décore de motifs floraux ou géométriques, etc. Il lui arrive parfois de retoucher au stylo à bille ses femmes pour accentuer un trait trop mal défini par sa technique trop hasardeuse. Ce qui l'intéresse, il le dira, c'est la ressemblance, «la réalité».

Son comportement asocial fait qu’il a des démélés avec le pouvoir en place.
Il sera interné dans des hôpitaux psychiatriques (selon l’habitude de ce type de régime).
Mais l’événement décisif pour lui sera la mesure d’expulsion de son atelier dont il fera l’objet en 1972.
Dès lors, il va se dégrader physiquement, se négliger : il ne se lave plus, porte des haillons, la barbe et les cheveux sont longs et sales. Il aura cette apparence du clochard un peu fêlé qu’on voit sur les photos qui le représentent (y compris dans la vitrine de l’expo de Beaubourg).
Il ménera cette existence de clochard photographe traquant les femmes dans les rues, les stades, les piscines, les parcs de la ville de Kyjov.
Il les photographiera à la dérobée, sous le manteau, leur volant des instants d’intimité ou d’égarements physiques : un décolleté, des jambes légèrement ouvertes, un maillot de bain qui suggère des formes généreuses, etc.
Tichý est fasciné par les femmes. Mais bien plus que les femmes, c’est le corps des femmes qui l’obsède. On a l’habitude de dire qu’on a affaire à une photographie érotique chez Tichý mais  je pense, pour ma part,  que c'est la  concupiscence qui domine dans cette production qui nous est livrée. S’il y a érotisme, c’est un érotisme de voyeur. C’est tout de même très libidineux, ou simplement lubrique.
On dit de lui qu’il n’aurait jamais eu l’occasion de toucher une femme.

Pour préparer ce travail, je me suis tourné tout naturellement  vers un moteur de recherches connu et ai tapé "Miroslav
Tichý". Et là, des centaines et des centaines d'occurences se sont alignées. Au hasard de mes lectures, sur un blog évoquant l'exposition, je suis tombé sur le commentaire suivant  :
«En somme, il s'agit ni plus ni moins d'un pervers qui photographie des femmes dans des situations banales, mais avec des yeux d'un obsédé sexuel qui vole ainsi leurs portraits à leur insu.

Doit-on en comprendre que les milliers de photographes pervers bricolant des appareils photos sur leurs canes pour mieux voir sous les jupes des filles l'été seront un jour tous élevés au rang d'artistes ?»

Commentaire : Ralphy

Et cette question ouvre sur la réflexion concernant les raisons de l'émergence d'un artiste (plutôt que d'un autre). Ce processus m'intéresse, et j'en parle demain.

       
       
       
       
       
photo :Portrait de Miroslav Tichý par Roman Buxbaum vers 1990 (Photo Collection Roman Buxbaum/Fondation Tichy Ocean)
       
       
Miroslav TICHÝ

25 juin au 22 septembre 2008

Musée, Galerie d'art graphique
Centre Georges Pompidou, Paris
       
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14 juillet 2008 1 14 /07 /juillet /2008 10:40
  Étienne Bossut
   
Il y a quelques jours, j'étais au CAPC, à Bordeaux, et je visitais l'exposition Less is less, more is more, that's all.  Cette expo décapante  présente les travaux de plusieurs générations d'artistes animés d'un certain état d'esprit faisant écho à celui du groupe défunt Présence Panchounette. Chronique ici.
Je me trouvais dans la section intitulée "Jardin", face au "Fantôme du jardin" d'Étienne Bossut. Soudain, un bonhomme s'approche avec un dossier sous le bras, tire la chaise de gauche, s'asseoit et commence à plonger le nez dans ses papiers. Aussitôt, aussi vif que l'éclair, un des gardiens de salle traverse l'immense espace de la nef, lui tombe dessus, et lui dit :
- «Monsieur, c'est interdit de s'asseoir, c'est une œuvre !»
L'autre, calme, pas démonté, lui répond :
- «Je suis l'artiste.»
Le gardien, interloqué, ne sachant pas trop quoi dire :
- «euh... C'est vous qui avez fait ça ?»
Et le monsieur qui lui répond gentiment aussitôt :
- « Non. Mais, ne vous inquiétez pas : je m'en vais...»

La question était de savoir si ce monsieur était réellement l'artiste. Après renseignements : il s'agissait effectivement d'Étienne Bossut. La question du gardien posait un problème d'histoire de l'art. Et
la réponse d'Étienne Bossut était savoureuse.

   
   
   
Less is less, more is more, that's all.

jusqu'au 14 septembre 2008

CAPC
musée d'art contemporain
Entrepôt Lainé, 7 rue Ferrère 33000 Bordeaux
   
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13 juillet 2008 7 13 /07 /juillet /2008 13:26
Présence Panchounette*, CAPC Bordeaux
Présence Panchounette
1, rue de la Vache, Bordeaux
Panchounette, remember ? Nan, t'étais trop petit. Moi aussi, remarque. Mauvais goût. Consternant. C'est souvent moche, mal fait, inachevé.« En un mot : merdique». Nés après 68, ils s'autodétruisent 22 ans après.
C'était les derniers indiens de l'art. Tu lis
ici, tu vas vite comprendre. Très bien vu.  Au CAPC, ils ont fait dans la nostalgie : les Panchounette, In Memoriam. Mais c'est pas les Panchounette qu'ils montrent au CAPC, c'est des artistes animés d'un certain état d'esprit. Et c'est  un festival, un festival de l'esprit «chounette».
       
       
Alors, l'esprit «chounette», c'est quoi ?  Dans l'argot bordelais, là, faut tout de suite que tu saches,  «chounette» c'est le minou, le sexe féminin, quoi ; et quand ça devient un adjectif, c'est mimi, c'est ce qu'on trouve mignon, joli... « Et pour nous, tout ce qui a une valeur esthétique, plus affective que transcendantale. » Attention : « Ne pas confondre avec le "kitsch"» rappelle Jean-Paul Mari dans l'article en lien, plus haut.
Arnaud LABELLE-ROJOUX, qui continue à tenir le flambeau (sans être Panchounette
® pour autant), en donne une idée de ces fouteurs de merde, post-situ, ces branleurs comme se définissaient :

«Présence Panchounette appartient à la catégorie des poseurs de bombes exigeants «trop honnêtes pour être polis» (comme disait Scutenaire), ou plutôt trop «chounettes pour être complaisants» . On ne les remerciera jamais assez d'avoir distillé durant les années 80 un acide sucré aux vertus explosives sans barbouiller leur existence d'un pseudo-engagement militant. Présence Panchounette n'a pas dilapidé son capital d'incorrection durant les vingt ans ou plus de son existence, fougue, brio verbal, œuvres plastiques insolentes, ayant toujours été au rendez-vous. Qui étaient-ils ? Combien étaient-ils ? Ont-ils fait des adeptes ? Ces questions importent peu, leur nom mystérieux enrubanné de pittoresque local indéfinissable suffisant à confondre les fouineurs trop curieux.»

Arnaud LABELLE-ROJOUX
L'Acte pour l'art,
Éditions Al Dante, 2004, pp 619-620

   
       
       
Des adeptes ? Sans aucun doute. Dans toute l'expo tu vas retrouver, à travers les épigones ou les «cousins» de Panchounette, cet état d'esprit que le CAPC aura eu soin de sérier (quand même) en définissant plusieurs cellules  intitulées : l'Hyper, les Loisirs, le Temple, l'Hôpital, le Jardin, le Théâtre, les News,  et l'État civil une classification tentant de rassembler des boulots d'artistes œuvrant dans le même sens...

Choix arbitraires :
       



Là, je résiste pas : je te montre les quatre Murakami (en fait cinq, mais l'autre est plus BD). Tu notes le mur merdique derrière, à la taloche, façon crépi (mal) lissé : clin d'œil au papier fausse pierre apparente de Panchounette ; et aussi le fil électrique qui cavale approximativement le long du mur.
Pour Présence Panchounette ce qui est décoratif, tout fait ou manuf(r)acturé peut entrer dans le champ de l'art mais dans un désordre irruptif ou une giclée de mauvais goût. La question du goût (bon ou mauvais) les a intéressés. Les objets sont rois. Rois de foutre le bordel. Bric à brac de l'incongruité, bricolages de potaches, prises d'otage de l'esprit «art moderne» et brouillages culturels assurés.
   
   
Là, c'est du soigné : superbe installation d'Armleder (ou de Haim Steinbach, je sais plus) et un des cochons tatoués de Wim Delvoye (il y en a plusieurs dans l'expo ; voir aussi celui en début d'article :«T'as d'beaux zyeux, tu sais...»). Toujours des correspondances d'objets improbables ou carrément impossibles à concevoir. Un choc pour la raison (ou pour le bon goût).
   
   
Ici, tu te marres : Charlier et ses phallus façon longs-couteaux de l'art (contemporain) : tu noteras particulièrement Toroni, Gilbert & George ou Christo.
   


Ah les zanimaux ! En voilà d'autres (enfin, si on veut). Daniel Spoerri (on dépoussière le lion) et Javier Tellez et  "La Lettre volée" (c'est ce qu'on voit et ce que ne voit pas, en même temps. Des panneaux de SDF ont été récupérés et servent à fabriquer des petites niches pour les oiseaux. Abris précaires faits sur les sept faces de ces panneaux manuscrits : œuvre politique ?)
       
       
Toujours des zob-jets : le paravent/rape à fromage de Mona Hatoum (œuvre politique, là aussi ? On se cache, on s'y frotte et ça fait mal) ; avec «chute libre» de Daniel Firman, une citation catastrophe et marrante d'une œuvre de Bertrand Lavier ; le sacré de prisunic avec Tarrop & Glabel (tu vois aussi un Closky connu, derrière) et puis encore des zanimaux avec le chien empaillé de Parreno (vu au MAMCO pour la première fois, il y a pas mal d'années déjà, et toujours aussi  impressionnant).
       

 
       
Alors là, c'est tout à fait étonnant.Il s'agit d'une sculpture/peinture de Kaz Oshiro. Lavier avait fait ses sculptures de peinture mais ce truc, ça va bien plus loin : tu regardes la sculpture sur socle  (à gauche) et tu identifies un ready made (un four à micro-ondes avec traces dégueulasses de dégoulinures dessus). Quoi de neuf ? Tu passes derrière et tu t'aperçois que c'est une peinture sur toile(s). Cet objet est à la fois une sculpture d'un réalisme sophistiqué et une peinture véritable. La sixième face du bloc a été laissée vide afin de comtempler le boulot de l'artiste (à droite).
       
       
Ce que tu vois à gauche c'est la partie qu'ils appellent le Jardin dans l'expo avec des toiles au mur de Christian Babou (sa série "Grand standing") et puis, juste devant, le salon avec les chaises en plastique c'est une œuvre d'Étienne Bossut et je te raconte dans le prochain post un truc hallucinant qui s'est passé devant moi au sujet de cette œuvre (sois patient, j'arrive ; spécial dédicace : Étienne Bossut).
La visite de l'expo, je te la finis sur un beau voyage, celui du sommeil (éveillé ou qui fait semblant ?) : les chats somnambules de Séchas (
Séchas et ses chats, Séchas et ses chats, Séchas et ses chats, repeat, please...). Tu cliques sur l'image et là tu les vois s'agiter dans leur sommeil. Bonne nuit !
       

 

       
Au fait, j'y pense, je t'ai pas dit pourquoi ça s'appelle Less is less, more is more, that's all, l'expo ?
Je te cite la plaquette de l'exposition : «Si le modernisme pour élever l'âme et transformer l'homme avait fait le pari de dire «moins» pour signifier «plus», en 1973, Présence Panchounette renversera l'oxymore la plus célèbre de l'art du 20e siècle pour en faire un banal pléonasme».
       
       
* à noter : parallèlement à l'expo, présentation d'œuvres de Présence Panchounette dans quatorze lieux différents de la ville de Bordeaux.
       
       








Less is less, more is more, that's all.

jusqu'au 14 septembre 2008

CAPC
musée d'art contemporain
Entrepôt Lainé, 7 rue Ferrère 33000 Bordeaux

       

     
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8 juillet 2008 2 08 /07 /juillet /2008 07:48
Jérémy Liron, galerie Isabelle Gounod
La Galerie Isabelle Gounod est une galerie qui vient d'ouvrir ses portes  à Paris. Mais cette galerie, nous la connaissions : elle était située à Boulogne. Et la dernière exposition vue dans cette galerie de Boulogne-Billancourt était une exposition de Jérémy Liron. Isabelle Gounod  décide donc  de repartir avec...Jérémy Liron. Cette exposition est néanmoins différente.
Tout d'abord, souhaitons bonne chance à cette galerie qui jouxte la galerie Claudine Papillon et celle d'Eric Dupont. Signalons qu'une autre jeune galerie vient également d'ouvrir dans la même cour, au second étage : la galerie Frédéric Lacroix-Brulé où des choses assez étonnantes sont présentées actuellement.
       
       
Jérémy Liron. est un jeune peintre dont j'avais déjà parlé ici même. Outre cette exposition que j'avais visitée à Boulogne, une présentation remarquable d'une très belle série qu'il avait faite avait été montrée à la galerie du CROUS, à proximité des Beaux-arts, à Paris. Jérémy Liron  a un style très identifiable. Sa prédilection pour un certain type d'architecture qu'il montre dans sa peinture est une constante. Les paysages du sud, des paysages écrasés de soleil font partie des choses qu'il aime peindre. Ce soleil écrasant fait, sans doute, qu'il n'y a jamais personne dans ses toiles... Les seules traces humaines sont les traces du peintre. Des gestes de peintre comme des coulures, par exemple, que l'on va trouver dans ces représentations rigoureuses et poétiques.
       
       
Chez Jérémy Liron, ce qui frappe -j'avais déjà eu l'occasion de le dire- c'est l’utilisation du format carré et ce que l’artiste en fait. Le carré est non seulement difficile à utiliser, mais, dans une certaine mesure, contraire à la logique lorsque l'on décide de s'attaquer au paysage.  Nous sommes prisonniers de codes culturels mais souvent ces codes intégrés reposent sur des comportements. Si le format carré est habituellement écarté de toute représentation du paysage, c'est qu'il induit une stabilité non seulement du regard mais de la tête du spectateur. La forme allongée, horizontale, du paysage fait référence au lointain et à l'obligation de bouger la tête latéralement pour être capable d'embrasser la totalité de ce qu'il y a à regarder. Ceci est transposé, par la suite, à la représentation de tout type de paysage, y compris lorsque le format est petit et nous dispense de cet effort. Même s'il peint des paysages, Jérémy Liron y installe des éléments de stabilité comme ces "boîtes" architecturales qu'il va asseoir solidement en leur imposant ce carré. La chose amusante  à constater est que lorsque le cadre quitte la forme carrée (ex : ci-dessus, à droite), la peinture s'arrête (en coulures...) selon le carré supposé. Comme s'il s'agissait d'un surmoi de peintre.
       
 
       
Jérémy Liron montre également quelques sculptures tout imprégnées de poésie et de légèreté. Ce petit édifice en écho  au beau récit fantasque d'Adolfo Bioy Casares, L'invention de Morel et puis un grand bateau de plâtre échoué au beau milieu de la galerie, comme un grand cétacé puissant et fragile qui aurait terminé un parcours, ici, parmi les vivants qui le regardent et se demandent d'où il vient, ce qu'il fait là en se disant que finalement il a bien sa place, forte et discrète à la fois, silencieuse et hurlante, blanche, muette et vide et pourtant si riche de mémoire ≈≈≈.
       
       
       
       
       
Jérémy LIRON

"Suite"
27 juin au 26 juillet 2008

Galerie Isabelle Gounod
13 rue Chapon Paris 3ème
       

     
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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 10:43
 
Joël Hubault - l'Onde, Vélizy
«Perturbation nourricière, contaminante, dérangeante, politiquement incorrecte et révolutionnaire, la planète Hubaut constitue un monde à part tout en étant partie prenante du monde» *

Joël Hubault occupe l'Onde à Vélizy. L'Onde, ça ondule, ça fait de jolies vagues sur cette architecture sombre et élégante. À l'occasion de cette exposition, Hubault va faire une Nouvelle Vague en décidant de donner un autre visage à
la façade de verre ondulée : une prolifération de signes qu'il utilise depuis un certain nombre d'années vont occuper toute l'importante surface vitrée du bâtiment, du haut en bas et de long en large, épousant toutes les ondulations. Mais cet envahissement de signes extérieurs n'est que la partie visible de ce travail qui continue à grouiller à l'intérieur. Joël Hubault s'active depuis plusieurs décennies sur le principe d'une contamination toujours plus envahissante qui perturbe et modifie tout ce qu'elle touche et ceci dans tous les domaines. Ces signes qu'il nomme épidémiks constituent un des moyens mis en œuvre.



           
Lorsque l'on pénètre dans la grande salle d'exposition plusieurs réalisations sont présentées : quelques-unes très anciennes (comme la série de dessins -voir plus bas- qui datent de 1976), d'autres in progress (la prolifération a commencé il déjà longtemps et continue son inéluctable  progression...). Et, immédiatement, on repère ces mêmes signes un peu partout : disséminés sur les murs, le sol, les toiles cirées, les dessins, les photographies de lieux, les objets fabriqués ou ready-made, les imprimés, etc. Une sorte de gangrène esthétique, en quelque sorte. Ce sont des signes qui, au fil du temps, sont devenus simples : croix, cercle, flèche, carré, triangle, angle droit, zig-zag, vaguelette, etc.
L'idée de parasitage préside. L'idée d'hybridation
, également.
 

Nous restons dans l'état d'esprit de la vague. La mer, la baignade, les bords de l'eau. Une gigantesque bâche colorée, imprimée de photographies de baigneurs dans un paysage d'été, est tendue sur le mur. C'est une plage et tous ses attributs. Une composition faisant penser à un tableau tant dans le format, l'organisation des figures que dans le sujet lui-même qui renvoie incontestablement aux débuts de la modernité et donc à Manet et à son Déjeuner sur l'herbe. A la manière des peintres classiques, Joël Hubault ira même jusqu'à se représenter à deux reprises dans sa composition. La mise en abîme est constante.  
           
           
Et en effet, sous cette grande composition prend place une installation singeant la plage :  parasols, sauts et pelles, bouées, canoë, ballons, végétation, serviettes de bain, transats, etc. (sans oublier l'inévitable sable). Et ceci comme un miroir, un double, la gadgétisation d'un bonheur désiré. Hubault pratique la performance. Cet endroit a sûrement réuni des acteurs de circonstance (de l'entourage de l'artiste) pour jouer un tableau vivant. Et les signes épidémiks ont  été distribués, de manière aléatoire, sur un certain nombre de ces attributs balnéaires : tissu du parasol imprimé ou bien encore toile du transat, par exemple.
           






Une série de dessins anciens et de travaux photographiques dans lesquels on retrouve ces signes travaillés de différentes manières. On y lit des textes montrant des expériences variées de «contamination» de la nature. Photographies documentaires sur  matériaux éphémères. Une méthode est jointe afin de s'y employer soi-même...






           
Chaque objet mérite une attention particulière car tous ces éléments à priori hétéroclites sont à mettre en relation les uns avec les autres au sein d'une sorte de faisceau de réseaux multiples, de déferlante, de flux brassant des fragments connus de l'œuvre et en charriant, à chaque fois, de nouveaux dans un remugle toujours plus déjanté et plus assourdissant. On retrouvera le Joël Hubault extraverti, à la fois fragile et rigoureux dans son obstination à fabriquer une œuvre sur plusieurs décennies.
           






*Sylvie Froux, in  Les premiers signes épidémiks, germes de mes contaminations, Joël Hubault Re-mix épidémik Esthétique de la dispersion, Éditions Presses du Réel, 2006, p7
           
           
Photographies de l'auteur
           
           
Joël HUBAULT
Nouvelle vague
exposition du 23 mai au 12 juillet 2008
Micro onde - centre d'art contemporain
           
L'ONDE
8 bis, avenue Louis Breguet, 78140 Velizy-Villacoublay
           
           
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30 juin 2008 1 30 /06 /juin /2008 11:05





20 JUIN  2008  Pierrick SORIN : Nantes, projets d'artistes

19 JUIN  2008  Pierrick SORIN, Enghien. 4

18 JUIN  2008  Pierrick SORIN, Enghien. 3

17 JUIN  2008  Pierrick SORIN, Enghien. 2

16 JUIN  2008  Pierrick SORIN, Enghien. 1

15 JUIN  2008  Gabriel HERNANDEZ, galerie Alain Gutharc

12 JUIN  2008  Pavel BRAILA

11 JUIN  2008  Bethan HUWS, galerie Yvon Lambert

8 JUIN  2008  Poussière, Victor REGNAULT

6 JUIN  2008   Cunnus et cuniculus

4 JUIN  2008  Piero di COSIMO





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20 juin 2008 5 20 /06 /juin /2008 07:30
   

Pierrick Sorin, Enghien-les-bains
Pierrick Sorin ou Le Laboratoire d'un film idéal illusoire
           
           
Pierrick Sorin, 48 ans, vidéaste, expose au Centre des arts d'Enghien-les-bains, Val d'Oise.

           
Nantes, projets d'artistes

Il s'agit de la réalisation d'un film vidéo qui, sous la forme d'un documentaire très classique, présente un ensemble d'œuvres monumentales implantées dans la ville. Une demi-douzaine d'artistes européens (sept exactement : un Britannique, une Hongroise, un Portugais, un Espagnol, une Allemande, un Grec et un natif de Nantes, tous interprétés par Pierrick Sorin) commentent, sur le terrain, leurs créations les plus folles. Inutile de dire que ces projets sont de pures fictions, n'ont aucune existence réelle (enfin, pour le moment...) et semblent, pour la plupart d'entre eux, parfaitement irréalisables.
           








Ce film est une parodie des documentaires à vocation "culturelle" que l'on peut -ou que l'on a pu voir à une certaine époque- sur des chaînes de télévision comme Arte ou la Sept. La forme emprunte aux codes de ce type d'émission destinée à un public choisi. L'ambiance et le cadre sont gentiment extravertis, mais toujours avec mesure.
Pierrick Sorin, tel un Zelig des arts plastiques, provoque le rire en incarnant des types d'artistes que l'on a forcément croisés un jour ou l'autre et dans lesquels nous retrouvons tous les défauts spécifiques à la profession.






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Le découpage de ce film s'appuie sur l'observation que fait Pierrick Sorin de véritables documentaires d'actualités culturelles. Ce faux documentaire débute par un générique qui par sa forme et le ton adopté va d'emblée camper l'état d'esprit de ce reportage : l'émission s'appelle FOLIES (1) et cette prétendue "folie" est immédiatement desservie et contredite  par l'aspect morphing mou de la police de caractère utilisée pour l'affichage du titre et surtout par l'immonde fond jaune-orangé ou jaune-verdâtre qui s'anime en lents mouvements perpétuels et qui évoque ces lampes d'ambiance mauvais goût des années 70 dont on retrouvera un vestige dans l'une des œuvres montrées plus tard dans le film. Un présentateur soigné aux gestes maniérés (col roulé, petites lunettes ovales et  léger accent britannique) dresse le programme de l'émission en n'omettant pas de signaler l'audace et le dynamisme de la ville de Nantes qui a commandé pour ses espaces publics des œuvres «spectaculaires et monumentales», («Ce soir nous n'allons pas très loin, nous allons à Nantes où il se passe des choses très surpre-nantes...». Volonté de marquer des valeurs d'ouverture à la fois aux idées, à l'internationalisme, à l'appropriation d'une certaine modernité incarnée par l'art contemporain et au sein de cet art contemporain l'avant-garde représentée par les "nouvelles technologies", ou plutôt par ce qu'il nomme «des technologies très novatrices». Première apparition de Pierrick Sorin, dans le rôle du journaliste qui présente l'émission (2) et que l'on retrouvera à la fin du reportage à l'instar de toute bonne émission télévisée de ce type.






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Vont s'enchaîner la description et l'explication, par chacun des artistes (cinq hommes et deux femmes, tous interprétés par Sorin lui-même), des sept œuvres sélectionnées pour figurer dans ces espaces publics. Pierrick Sorin est évidemment déguisé, le visage maquillé, excepté lorsqu'il joue son propre rôle (6) ; il est en possession de certains attributs (ordinateur portable, appareil-photo, caméra, mais aussi bloc-notes, pots de peintures, etc.) ; chaque attitude est façonnée en fonction du personnage incarné : l'artiste portugais (9) est exalté, l'artiste anglais (7) est un peu intello, prétentieux, comme l'espagnol (10) qui se double de la figure du mélancolique ; l'artiste hongroise (8), elle,  est vaguement inhibée, la photographe allemande (11) est d'une sensibilité excessive, quant à l'artiste grec (12), il s'agit carrément d'un mégalomane animé par les goûts les plus kitschs...). Le dernier (Pierrick Sorin, le natif de Nantes, 6) donne l'impression d'être un gentil pervers !
Sorin est filmé en play-back et une voix s'exprimant  dans la langue de l'artiste (parfois en anglais) est rajoutée comme s'il communiquait directement, face à la caméra. Et comme dans les reportages télévisés habituels, nous pouvons profiter d'une voix-off qui nous traduit simultanément les propos en français.

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Le présentateur a annoncé les projets «les plus fous», des projets qui se caractérisent essentiellement par leur côté «spectaculaire et monumental», l'objectif étant de «bouleverser le paysage urbain». Et en effet, nous assistons à la présentation d'œuvres délirantes mais dont l'intérêt est soigneusement justifié, soit par l'artiste lui-même, soit par le commentaire en voix-off, tant sur les plans artistique, économique, scientifique, culturel, topographique, social, relationnel que sur celui de l'affectif ou encore de la sécurité des citoyens.

Les œuvres
-Des agrandissements holographiques de Nantais, courant pour attraper leur tram à l'heure de pointe,  seront proposés par l'artiste anglais, Ricky Pierson  (13)
-Une énorme goutte d'eau en suspension au dessus de la ville (14) sera réalisée par l'artiste hongroise, adepte de «l'anti-forme», et
pour réaliser cette œuvre extraordinaire, elle travaillera en collaboration avec les unités scientifiques les plus pointues du moment. 
-Sirki Pinheiro
, l'artiste portugais exalté, se servira de la façade de la faculté de médecine de la ville de Nantes comme d'un écran géant où seront projetées des images d'opérations chirurgicales filmées en direct (15) mais retravaillée par ses soins de «manière organique».
-Le ténébreux artiste espagnol «handicapé dès l'enfance» (mais qui travaille depuis vingt ans sur le thème du «corps en mouvement») fera danser les habitants sur le rebord du toit de l'opéra de la ville, sous forme d'hologrammes (16).
-La délicate Krips  Roniker, d'origine allemande, fera apparaître dans le ciel un immense arc-en-ciel à l'échelle du paysage qui ne se manifestera pleinement que lorsque l'humeur des habitants sera réellement positive (17).
-Un autre projet titanesque est confié à un artiste grec, Eros Spinaki, qui imaginera d'occuper un mini gratte-ciel au centre de Nantes en le transformant en une «lampe-aquarium» géante qui va s'animer de l'intérieur de mouvements gluants et colorés à l'image de ces lampes d'ambiance décoratives des années 70.  Il évoquera, à son sujet, un «hommage à l'apparition de la vie» et en fera le symbole de «l'identité visuelle de la ville» (18).

 
Et enfin, la dernière œuvre  (ci-contre), c'est celle de Pierrik Sorin et il va en expliquer  le fonctionnement : l'œuvre devra être perçue de nuit par des gens qui sont en mouvement dans le tramway ; des mannequins alignés, légèrement différents l'un de l'autre, créeront l'illusion (à la manière du cinéma d'animation) d'une métamorphose d'un homme en femme ou de l'inverse.






  Ce reportage se terminera avec la réapparition du gentil présentateur donnant un avant-goût de l'émission diffusée la semaine suivante et qui aura pour thème «le plus grand défilé de mode de tous les temps» : 2000 mannequins défileront en pleine forêt canadienne, une «manière originale, dit-il, de marquer le passage au 3ème millénaire»...
Mais avant cette évocation de la prochaine Folie, nous aurons eu droit à un commentaire en voix-off évoquant le versant économique de l'opération "Nantes, projets d'artistes", ainsi que la polémique qui ne manquera pas d'éclater au sujet de cette commande publique d'envergure reposant sur «des arguments artistiques peu convaincants».
           
  






Pierrick Sorin, en bouclant son documentaire sur cette remarque violemment autocritique (des «arguments artistiques peu convaincants») tente de désamorcer toute critique en anticipant sur les questions qui fâchent. Mais il s’expose également et prend des risques sachant que tous les artistes qu’il incarne intègrent des traits qu’il a potentiellement repérés chez lui et qu’il veut mettre à distance. La solution qui consiste à utiliser la figure du bouffon ou du clown se révèle efficace car elle sert à la fois à exorciser des défauts constitutifs à cette catégorie particulière que sont les artistes et à questionner, sans emphase, la pratique artistique.
Jean Starobinski dans son ouvrage Portrait de l’artiste en saltimbanque (que j'avais évoqué dans un texte précédent) écrit : «L’on s’aperçoit en effet que le choix de l’image du clown n’est pas seulement l’élection d’un motif pictural ou poétique, mais une façon détournée et parodique de poser la question de l’art.»*
Cette œuvre, Nantes, projets d’artistes (qui date de 2000),  porte un coup sérieux à la crédibilité de l’art contemporain. Il faut avoir en mémoire le débat virulent  et les attaques contre les pratiques contemporaines qui se sont développées durant toute la décennie qui précède et qui ont largement dépassé le milieu des professionnels ou des galeristes.
Dans cette pièce on rencontre à la fois des artistes ridicules, mégalomanes, délirants, obsédés, imbus d’eux-mêmes, prétentieux, faussement intelligents, des artistes aux goûts douteux ou carrément repoussants, mais on y repère aussi certaines dérives d’un art contemporain qui impose à l’ensemble de la population des goûts et des pratiques qu’elle ne partage ou ne comprend pas.
Dans un livre qu’il a publié sur l’artiste, Pierre Giquel rappelle que «Sorin n’a jamais caché sa réticence à l’égard du monde de l’art contemporain. Jugée par lui «élitiste», relevant parfois de la supercherie (la fin des années quatre-vingt voit surgir la revendication du «n’importe quoi» et cela coîncide étrangement avec les débats franco-français qui sévirent pendant quelques années), l’œuvre d’art le rend perplexe. Mais plus encore, le sérieux, la certitude d’un milieu qui le légitime, la prétention à une vérité deviennent les lieux d’une moquerie acerbe que tout aussi bien il s’inflige à lui-même». **
Mais cette relation à l'art en général, et à l'art contemporain en particulier, est très généreusement ambivalente chez Pierrick Sorin.
On aura noté les références et les relations constantes au tableau ("La Belle Peinture est derrière nous ", voir
ici), ou aux formes et aux catégories  du tableau (le triptyque dans "La Bataille  des tartes"), à la sculpture (l'épisode de la cage de foot «qui ressemble à une sculpture d'art contemporain» dans "Pierrick et Jean-Loup", voir ), à la photographie ou au clip vidéo (encore "Pierrick et Jean-Loup"), etc.  Pierre Giquel dans le même ouvrage écrit : «(…)un mouvement contradictoire anime assurément cette œuvre qui se déchire entre l’amour et la dénégation. La construction des films, le traitement de l’image, l’installation des éléments dans l’espace entretiennent une relation subtile avec ce que l’on appelle une œuvre d’art. Même lorsqu’il fustige les prétentions à faire œuvre.»***

Et si Pierrick Sorin -par amour-  avait  réellement nourri l'intention de réaliser une des œuvres présentées dans Nantes, projets d'artistes ? La question peut sembler saugrenue mais, considérant  ce rôle du clown qu'il a endossé dans un premier temps en parodiant des types d'artistes ayant réellement existé, ces travaux  ne pourraient-ils pas constituer  une série d'esquisses revêtant une esthétique du dérisoire ou du non-sens de la seconde moitié du XXème siècle -et ceci par dénégation- ?...
L'œuvre serait donc à venir.

         






En évoquant son temps, Jean Starobinski posait cette question :«L'art de notre siècle aurait-il partie liée avec la dérision ?»****

         
           
           
Le site du Centre des arts :http://www.cda95.com/       

Le site de Pierrick Sorin :
http://www.pierricksorin.com/    

 
 
 
Pierrick Sorin
Laboratoire d'un film idéal illusoire,
jusqu’au 29 juin,
Centre des Arts, 12-16 rue de la Libération, Enghien-les-Bains (95).

 
 
Références bibliographiques :
*
 Jean STAROBINSKI, Portrait de l'artiste en saltimbanque, Gallimard, (2004), p 8
** Pierre GIQUEL, Pierrick Sorin, publié chez Hazan (2000), p 19
***
Pierre GiQUEL Pierrick Sorin, publié chez Hazan (2000), p 20
****Jean STAROBINSKI, cité dans le catalogue de l'exposition "La Grande Parade", Galeries Nationales du Grand Palais, (catalogue sous la direction de Jean Clair), Paris, 2004, p 337
 
 
 
À titre illustratif : photographies (d'images du film sur moniteur) de l'auteur à partir de l'œuvre de Pierrick Sorin, "Nantes, projets d'artistes", excepté celle du titre : C'est mignon tout ça, (1993), vidéo monobande,  Pierrick Sorin
 
 






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