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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 10:57
 Chimères
fontcuberta-fauna29 300 un clic de souris pour agrandir
C’est la fin d’une saga de près de cinq ans. Une longue chasse au virus dans laquelle se sont engagées, en vain, des centaines de chercheurs. Et pour cause : le pathogène recherché n’en était pas un.
En publiant, vendredi 3 juin, deux nouvelles études sur le Xenotropic Murine Leukemia Virus-Related Virus (XMRV), la revue Science met un point final à la controverse qu’elle avait contribué à lancer, en 2009, en publiant les premiers travaux sur les effets troublants d’une infection par le XMRV. L’éditeur de la revue se fend dans la même édition d’une «expression d’inquiétude» sur la validité de cette étude –premier pas vers une rétractation.
  L’affaire commence en réalité en 2006, avec la découverte du XMRV –apparenté à des virus provoquant des leucémies chez la souris – dans des tumeurs de la prostate, ouvrant la possibilité que l’agent pathogène ne soit oncogène.  
En 2009, un lien fort est découvert entre le même virus et le syndrome de fatigue chronique (SFC, ou encéphalomyélite myalgique), une maladie énigmatique touchant près d’un million de personnes aux Etats-Unis, dont les symptomes sont une fatigue extrême, des douleurs musculaires, des troubles cognitifs, etc. Sur un échantillon de malades, 67% étaient porteurs du virus, tandis que les mêmes personnes saines n’étaient que marginalement infectées (moins de 4%).

 

Manipulations

 De nombreuses tentatives de reproduire cette association ont échoué, en particulier en Europe. Aux États-Unis, les associations  de malades ont soutenu l’étude, de même que quelques membres éminents de la communauté scientifique.
La première des deux études publiée par Science, menée par Konstance Knox (Visconsin Viral Research Group), reproduit des tests de détection du virus sur le même échantillon de malades qui avaient été testés en 2009. Résultat : aucune trace de XMRV. D’où venaient, alors,  la souche virale  découverte en 2006 puis en 2009 ? La seconde étude, menée par Vinay Pathak (National Cancer Institute) répond de manière saisissante à cette question.

Selon le chercheur américain et ses coauteurs, le XMRV est une chimère créée de toutes pièces au cours de manipulations de lignées cellulaires en laboratoire. Ces manipulations ont consisté à effectuer des greffes successives de cellules cancéreuses humaines sur des souris. Ces xénogreffes successives sont pratiquées pour obtenir des cellules cancéreuses stables, propres à être étudiées. Mais parmi les souris qui ont subi ces xénogreffes, deux étaient porteuses du virus. C’est le mélange de ces deux virus, accidentellement mis en contact, qui a construit, par recombinaison génétique, le XMRV.

Ce dernier n’est donc pas un «vrai» virus. Mais plutôt une chimère présente dans une lignée de cellules utilisée à des fins de recherche dans de nombreux laboratoires. La détection du XMRV chez les patients était donc, très vraisemblablement, le fait d’une contamination des échantillons. Pas d’une réelle infection.

 
 

S.Fo.

La «fatigue chronique» n’est pas liée au virus XMRV

Deux études montrent que l’agent pathogène découvert en 2006 est une chimère créée accidentellement

Le Monde, samedi 4 juin 2011, p17

 
 

 Ce que l'on vient de lire est un véritable article à caractère scientifique paru dans le quotidien Le Monde de ce week-end. Cet article fait état d'un fait scientifique réel et met en lumière l'apparition d'une «chimère» produite involontairement par de véritables chercheurs. La construction de cette histoire est pour le moins surprenante car elle adopte les formes d'une fiction alors même qu'elle se situe dans un processus solidement scientifique. Le développement de cet événement ainsi que ses conséquences (l'invention d'une chimère, d'un virus prétendument responsable de la souffrance de millions d'individus, très sérieusement analysé par la communauté scientifique) relèvent quasiment de la science-fiction.

En revanche, la photographie 1, mettant en scène un spécimen de Myodorophera Colubercauda, décrivant un animal constitué de deux parties -l'une ayant l'apparence d'un petit rongeur et l'autre, reptilienne- est une pure fiction, une véritable chimère, créée par Joan Fontcuberta pour le projet Fauna (cliquer sur l'image pour lire la fiche zoologique). La description qu'en fait l'auteur dans sa fiche technique pourrait néanmoins être totalement crédible.

Pour donner du crédit à ce relevé d'observation «scientifique», Joan Foncuberta indique à la fin de la fiche zoologique (non reproduite ici) du petit animal :

«Myodoriphera Colubercauda : semble correspondre au sous-ensemble 8 de l'actuelle Nouvelle Zoologie. Cat : 0937HK77-4JS »

           
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La mise en parallèle de ces deux épisodes -l'un purement scientifique, l'autre relevant du champ artistique- devrait nous amener à nous questionner sur les pratiques qui contribuent à l'acquisition de nos connaissances et sur les systèmes qui font autorité dans ces processus d'acquisition ; un groupe de scientifiques qui font état de leurs recherches dans la prestigieuse revue Science, mais qui produisent un artifice, une véritable chimère  aura, a priori, plus de crédit et bénéficiera de plus d'écoute qu'un artiste qui se servira des outils et des moyens techniques et scientifiques les plus élaborés du moment et appliquera la rhétorique la plus adaptée au champ qu'il va investir , celle  mise en place par la recherche ainsi que celle qui est en vigueur dans ses modes d'exposition (le langage, les modes d'approche, les différentes classifications, la taxinomie, les notes, les croquis, la photographie technique, etc.)
  2          

            
     

Ci dessus, figure une aberration de la nature, l'Alopex Stultus (2). Magnifique spécimen extrait de la fameuse série Fauna. La légende indique : «Ce document prouve*  bien la capacité de l'animal à muter et à s'adapter à des  conditions climatiques difficiles. Faisant partie, à l'origine, de la famille des tortues, cet animal, pour résister au froid et à la neige, a laissé grandir ses pattes, s'est partiellement relevé et, surtout, a développé une abondante fourrure qui lui permet d'affronter les hivers rigoureux. Hélas, nous n'avons aucune information sur son mode de reproduction». (J.Fontcuberta par Christian Caujolle, Éditions Phaidon, p62).

prouve* ; c'est moi qui souligne : un document photographique prouve-t-il quelque chose ? La preuve que non. La photographie ci-dessous (3) nous laissera encore plus dubitatifs...

Y a-t-il une «évidence» dans l'acceptation d'une réalité même (et surtout, peut-être) si elle transite  ou est véhiculée par une technologie qui a fait ses preuves, une technologie soumise à l'obligation de témoigner objectivement, de dire la vérité ?

À moins de redéfinir la notion de réel, il conviendra sans doute de repenser notre rapport à l'image et aux  liens qu'elle entretient à la connaissance. Joan Fontcuberta y contribue largement.

           
  Dans son ouvrage sur Joan Fontcuberta ("Du réel à la fiction, la vision fantastique de Joan Fontcuberta", Isthme éditions, 2005), Robert Pujade écrit page 14 : «L'œuvre de Joan Fontcuberta mime jusqu'à son comble un geste scientifique» ; et en effet, il s'agit bien de cela. Dans un souci de conviction, se positionner dans le champ scientifique est un atout majeur puisque l'objectivité et la rationalité sont la règle. D'un autre côté, les pratiques de l'imitation (la mimèsis) relèvent des attendus et des compétences traditionnelles de l'artiste. Donc, après avoir copié la Nature (exercice classique), quoi de plus naturel pour un artiste que de copier les formes et les pratiques humaines mises en place petit à petit par les générations successives d'hommes de science ? L'artiste se livre à un exercice de représentation tout en déclinant une critique -humoristique- de ce que ce type de représentation met en jeu. Connaissant la nature de la photographie il faudrait, tout de même, s'attarder sur les formes, et non pas, à tout prix, être systématiquement en quête de la «vérité». fontcuberta-fauna28 300
        3    
Fontcuberta sait, en effet, avantageusement jouer de ce médium, la photographie, qui lui permet toutes les avancées, toutes les provocations. Il déclare à Christian Caujolle (op cité, p3) : «Méfiez-vous, c'est de la photographie, donc c'est vraisemblablement faux». Avant d'ajouter, dès la minute suivante : «Regardez, c'est la photographie la plus vraie qui soit. Une pure empreinte du réel». Dans le même ouvrage, un peu plus loin (p5) Christian Caujolle écrit : « Joan Foncuberta a, très tôt, constaté cela (la photographie synonyme de vérité) et s'est interrogé sur les raisons qui faisaient que, autour de la photographie, s'était constitué une crédulité unanime dans le pouvoir du «vrai» de l'image, devenue aujourd'hui tant elle est irrationnelle, une véritable attitude religieuse». D'où les projets qu'il a élaborés du côté des sciences (Herbarium, Fauna, etc.) mais également du côté des croyances et des religions (Miracles & Cie, photos 4, 5). Dans tous les cas, avec tous ces projets, nous assistons à une théâtralisation de la réalité que la photographie met en scène de manière tonitruante et magistrale. Rappelons-nous que la photographie, dès sa naissance, constitue une sorte d'hybride entre l'art et la science et que, simultanément, on lui attribuera des pouvoirs magiques ou ésotériques (fantômes, revenants, captation de l'au-delà, etc.) 
           
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L'utilisation massive de la photographie chez Fontcuberta implique l'idée de suspicion, de mise en doute que l'artiste encourage avec humour. Mais, simultanément, dans le cadre de sa pratique artistique, la photographie lui permet aussi de mettre à nu des stratégies destinées à créer des effets de pouvoir par le biais des images. Et il ne s'agit pas de mettre à l'index ou de diaboliser les nouvelles technologies avec l'utilisation de plus en plus croissante de logiciels de modification d'images comme Adobe Photoshop , par exemple. Comme l'écrit Joan Fontcuberta dans son excellent ouvrage  Le Baiser de Judas (publié en 2005 chez Actes Sud) : «Ce qui a ruiné la vraisemblance et la confiance dans le document photographique n'est pas tant la retouche digitale qu'une conscience critique croissante. La technologie digitale peut précipiter le discrédit, mais elle ne peut le provoquer à elle seule» (p163 ).  
           


           
           
           

La suite demain.

 

voir Joan FONTCUBERTA, Fauna .1

voir Joan FONTCUBERTA, Fauna .2

           
voir, ou revoir,  la série Herbarium de Joan FONTCUBERTA
           
           
           
           
Les images qui figurent sur cette page sont extraites du catalogue de l'exposition Joan Fontcuberta.Sciences-Frictions qui a été présentée du 9 avril au 3 octobre 2005 au Musée de l'Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie (Nathalie Parienté, commissaire de l'exposition) ou de l'ouvrage consacré à Joan Fontcuberta par Christian Caujolle, Éditions Phaidon N°55,( photo N°2, Alopex Stultus, p63) ou bien encore du livre de Joan Fontcuberta Miracles & Cie, publié en 2005 chez Actes Sud (photos 4 et 5) 
 
 
 site de Joan Fontcuberta
           
           
           
           
           
           

 photographies :

 

1 : Myodoriphera Colubercauda, série Fauna (fiche zoologique du professeur Ameisenhaufen)

2 : Alopex Stultus, série Fauna, Barcelone, 1986

3 : couple d'«aérophants» du Kenya prenant leur envol. Photographie de Claude A. Bromley (1941), document de valeur douteuse

4 : série Miracles & Cie, Miracle de la chair

5 : série Miracles & Cie, Miracle de l'invisibilité


           
           
           
           
           
           
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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 00:01

 

Une expo photo de Fontcuberta volée… dans sa quasi-intégralité

PARENTHESE troublante : aujourd'hui dans Rue 89,

Par Louis Mesplé | Rue89 | 04/06/2011 | 18H06, cet article :

 
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C'est pas tous les jours que l'on vole une exposition photo. Une première en Europe, selon la police spécialisée en œuvres d'art. C'était pendant la nuit du 25 au 26 septembre dernier. Le lieu : dans le Gard, la prestigieuse Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon (XIVe siècle), Centre national des écritures. L'exposition : Miracles & Co. , soit 35 photos encadrées (des 50x60 et 30x40). Le photographe : Joan Fontcuberta.

Si nous ne savons que depuis peu l'information, c'est qu'une extrême discrétion a suivi le forfait. Discrétion du côté de La Chartreuse (ça la fout mal…), discrétion voulue par la police (pour mieux enquêter).

Discrétion toute relative néanmoins : le lendemain du forfait, dans son atelier de Catalogne, lorsque Joan Fontcuberta apprend la nouvelle, il est en compagnie d'une journaliste d'El País venue l'interviewer sur un autre sujet. Il ne peut cacher son émotion et le 28 septembre, l'information paraît dans le quotidien espagnol. Bizarrement, elle n'est ni relayée dans les rubriques artistiques, ni dans dans les milieux professionnels hors d'Espagne.

Joan Fontcuberta et ses essais photographiques

Pourtant, Joan Fontcuberta est un photographe espagnol (catalan) de renommée internationale (le seul exposé au MoMA de New York). Historien, critique, enseignant, il étudie depuis toujours – et de façon malicieuse – les forces et les faiblesses de la véracité des images, ses transformations selon leurs modes de communications, ses changements profonds dans ses usages à l'heure d'Internet.

Pour éprouver ses fragilités, il invente des scénarios qui reposent sur des histoires réelles – ou fictives – dans lesquelles il se met en scène. Exemple : la série « Sputnik » (1997) ou l'Odyssée de Soyouz.

Pour l'exposition Miracles & Co (2002), il se fait journaliste d'investigation infiltré dans une communauté religieuse, orthodoxe, habitant le monastère de Valhamönde, installé en Carélie, au fond de la Finlande, au milieu d'un labyrinthe de lacs et d'îlots.

Le reporter raconte l'histoire du monastère, terre d'accueil de grands tapés (Cagliostro, Raspoutine, Ron Hubbard…). C'est un lieu où l'on apprend à faire des miracles « censés conférer à celui qui les réalise un grand pouvoir sur les masses ».

 

Notre reporter découvre vite que ces miracles sont fabriqués par une équipe de prestidigitateurs engagés par les moines. Une arnaque. Parmi les miracles, on citera le plus prisé, celui de la chair, où le visage du Che apparaît sur une tranche de jambon (image ci-contre). Il est écrit dans un catalogue : « Cet essai photographique fait une référence critique à la foi religieuse, au fanatisme, à la superstition, au paranormal, et à la crédulité. »


Généralement, les visiteurs se marrent à parcourir l'exposition. Mais au matin du 26 septembre, on ne rigole plus. Toutes les photos de Miracles & Co ont bel et bien disparu. Escamotées comme par miracle. Seule une grand format de 1,20m x 1,60 est restée sur le mur. Ainsi que les cartels d'explication des scènes.

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Le mobile du vol ? Hypothèses plus ou moins fantaisistes

Après avoir escaladé le mur d'enceinte et pénétré sans encombre dans le bâtiment, les monte-en-l'air ont soigneusement décroché les cadres sous verre. Une fois déposés, ils en ont ouvert le dos, puis découpé au cutter les marie-louise afin de ne prendre que les photos et les transporter plus facilement enroulées. Seul un cadre a été endommagé (il n'y a pas de casse zéro).

Détail (pour les apprentis détectives) : le cambriolage a eu lieu quatre jours avant la fin de l'exposition. Autre détail (dans lequel se cache peut-être le diable) : la disparition de tous les petits « tortillons » de fil de fer qui servaient à relier le piton du mur à l'anneau du cadre et empêcher le larcin compulsif.

 
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Fétichistes, les voleurs ? Plusieurs hypothèses circulent pour essayer de les profiler. Dans le désordre :

  • un groupe de catholiques intégristes, actifs dans la région, tendance iconoclaste, voulant punir le sacrilège. Mais plus vandales que méticuleux (cf. l'affaire « Piss Christ »), ils auraient sans doute détruit l'exposition sur place ;
  • un acte de nuisance dirigé contre l'équipe et son directeur, François de Banes Gardonne ;
  • un geste artistique suivi d'une performance, style potache. Vu la durée du recel, la performance risquerait de se terminer aux Baumettes (prison de Marseille) ;
  • Joan Fontcuberta nous a signalé qu'au lendemain de l'article parue dans El País, quelques bloggeurs ibériques l'ont suspecté d'avoir lui-même monté le coup. Il en rit (jaune) ;
  • un mouvement genre FLNJ (Front de libération des nains de jardins) assorti aux photographies prisonnières des murs. Il n'y a pas de revendication ;
  • l'hypothèse qui tient la corde : une équipe de professionnels commandée par un collectionneur. Le respect porté aux photos en serait un indice.

Ce qui nous emmène à la valeur du dommage. Les tirages, propriété de Fontcuberta, sont récents (après 2000). Le coût de leur remplacement est, sans surprises, au tarif de laboratoire. Mais le préjudice moral subit par le photographe est difficile à évaluer. Sa première estimation (dans El País), faite sous le coup de l'émotion, fixe le prix de chaque photo à 5 000 - 6 000 euros environ. Aujourd'hui, il juge sa perte globale à 80 000 euros. Une somme excessive pour La Chartreuse, qui propose un dédommagement de 1 000 euros par photo.

Et l'assureur, Axa ? Arguant du manque de sécurité (les vidéos de surveillance seraient factices), il ne veut rien entendre.

Bref, tout le monde est fâché. Le ton monte du côté de l'auteur, soutenu par El País (voir son édition du 30 mai). C'est désormais au tour des avocats de tenter le miracle de la conciliation.

Et les photos, où sont-elles ? Dieu seul le sait.

 
 
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   lévitation (Joan Fontcuberta)

           
Photos : l'exposition Miracles & Co de Villeneuve-lez-Avignon avant le vol (DR) ; le miracle de la chair (Joan Fontcuberta) ; les murs de La Chartreuse après le vol (DR) ; lévitation (Joan Fontcuberta).
           
           
           
           
source : blog Rue 89,  On est là pour voir
           
           
           
           
           
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4 juin 2011 6 04 /06 /juin /2011 08:53
 Chimères
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«Bien étrange histoire que celle du professeur Ameisenhaufen, mis au banc de la société scientifique par ses confrères pour des recherches et des travaux  controversés. Ces derniers sont, pour partie, illustrés ici grâce à la découverte fortuite de documents par Joan Fontcuberta et Pere Formiguera. Tout un ensemble d’archives (photographies, manuscrits, sonogrammes…) sont à notre disposition pour attester l’authenticité des découvertes du professeur. Une vidéo (visible dans la photo à gauche) nous présente la sœur d’Ameisenhaufen, Elke, nous renvoyant l’image vivante d’un mythe et plus encore d’une mystification.

Il est vrai que la découverte d’espèces animales inconnues à ce jour est pour le moins envisageable et au cœur des recherches scientifiques actuelles. L’évolution des espèces a laissé de côté de nombreux spécimens transitoires, sortes de chaînons manquants que l’on s’efforce de retrouver, qui rendent les images que nous voyons exposées plausibles. 

Les animaux nous sont ici présentés sous un aspect strictement scientifique : dénomination, vues d’un laboratoire… mais pour qui sait lire attentivement, apparaissent dans les textes des références bien éloignées du domaine d’abord annoncé et la supercherie se révèle». Voici ce qu'indique la plaquette introductive de l’exposition Sciences-Friction consacrée au travail de l'artiste catalan Joan Fontcuberta au Musée de l'Hôtel-Dieu de Mantes-la-jolie en 2005. Nous sommes prévenus avant d'entrer : notre vigilance est requise.
   
Il faut savoir que le projet Fauna  a d'abord été présenté en 1989 au Musée de Zoologie de Barcelone alors qu'en toute logique sa présentation aurait dû se faire dans un musée d'art contemporain étant donné la nature de ce qui est montré : une installation, donc une œuvre d'art fondée sur une création. La différence est de taille et éclaire sur l'intention de l'artiste. Cette exposition, comme on va le voir, met en place très scrupuleusement, une sorte de rhétorique appliquée et rencontrée dans les expositions des musées d'histoire naturelle. Pas de place a priori pour la création personnelle ; tout se veut objectif, scientifique, donc rigoureux. fontcuberta-fauna27 300
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L'installation se compose d'un ensemble de photographies, de planches, de croquis et dessins et de textes encadrés et accrochés aux cimaises avec un souci à la fois d'harmonie et de rigueur scientifique. Puis prennent place, entre ces cimaises, des meubles-vitrines en usage dans les musées traditionnellement consacrés aux présentations à caractère scientifique (voir photographies ci-dessous). Des projections vidéo sur moniteur complètent cet ensemble. Le dispositif de cette installation est construit autour d'un récit, celui de la découverte du travail du professeur Wilhelm Ameisenhaufen (voir). C'est ce qui donne un sens et structure le projet.
   
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Le dispositif imaginé par l'artiste fait appel à des habitudes qui sont les nôtres ou l'ont été  : de sages petites vitrines un peu désuètes dont le fond est tendu d'une toile de lin et dans lesquelles sont disposés méticuleusement des documents (objets, échantillons, photographies jaunies, clichés sur verre ébréchés, radiographies,  appareils  de mesure et appareils-photos, des textes, des coupures de journaux, des croquis et dessins, des carnets ouverts, des listes, des cartes, etc), le tout soigneusement étiqueté, daté, numéroté. Un cartel jauni, à l'encre pâlie, figure sous chaque pièce, à côté de chaque élément exposé.  
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  Tout ceci fait partie d'une stratégie muséale qui vise à gagner la confiance du visiteur, à atténuer son sens critique. Dans le cadre de cette volonté de mystifier notre visiteur, tout a été artificiellement vieilli et les traces du temps, de l'usure et de l'oubli font partie de la matérialité de chacun de ces objets (6, 7). Ce type de présentation, vaguement austère, poussiéreuse, salie, délavée, renvoie aux vitrines du musée de l'Homme du milieu du XXe siècle où l'on pouvait prendre la mesure du travail quotidien, patient, méticuleux  du chercheur (qui avait voyagé, accumulé des objets et des connaissances, avait fait des découvertes, les avait analysées puis était revenu avec tout ce corpus offert ici sous nos yeux) ; mais ce type de dispositif renvoie également à l'activité de fourmi des autorités responsables de ces expositions à caractère scientifique.  Toute cette somme d'éléments hétéroclites, à la fois quotidiens et extravagants, sont réunis, analysés, classifiés et leur fonctionnement pensé pour nous. Tout est livré dans sa diversité et sa complexité : des noms latins, des pays lointains ou des contrées reculées, des traces de l'expérience, des mesures comme on en rencontre dans tout compte rendu scientifique, des numéros inscrits soit sur les spécimens présentés soit dans des listes ou sur des fiches, etc. Tout est là pour faire autorité, pour présenter l'évidence d'un projet scientifique dont on rend compte. Les objets organisés pour la circonstance, aussi bien que les photographies, sont des pièces à conviction, des preuves de l'authenticité de la démarche et de ses résultats.  
   
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Comme le rappelle Nathalie Parienté dans la présentation qu'elle fait du projet Fauna pour le catalogue de l'exposition de 2005 à Mantes-la-jolie : «Il aura fallu quatre ans aux artistes catalans, Fontcuberta et Formiguera, pour venir à bout de Fauna, cet immense canular qui de plus est une œuvre ouverte, sur laquelle ils peuvent, s’ils le souhaitent, intervenir à tout moment. Dans ce projet, les deux artistes se présentent eux-mêmes en tant que découvreurs fortuits des archives du professeur Ameisenhaufen. En réalité, ils élaborent pièce par pièce chacun des animaux empaillés (il ne s’agit pas de photomontages) ainsi que les différents documents qui viennent appuyer les recherches du professeur. Imaginons les conditions de «recrutement» des différents acteurs de cette imposture :  un peintre argentin de leurs amis représente le professeur âgé, etc. Imaginons, une fois ce dispositif installé, les gardiens de musée qui ne savent pas «si ces animaux sont vrais ou non, mais qui en tout cas avaient vu le professeur, qui était bien là à l’inauguration» ! Imaginons encore les différents taxidermistes que les deux compères ont dû convaincre de se rendre complices d’une telle imposture artistique, leurs conversations, totalement surréalistes (l’un des taxidermistes avoue avoir été inquiet que les artistes lui demandent de procéder à des greffes humaines, «ce qui est une source de complications tout de même ! » fit-il remarquer). Imaginons les deux garnements, leur œuvre désormais consacrée et exposée au MoMA de New York, cachés derrière les piliers à guetter les commentaires des visiteurs, leur discussion avec un conservateur du département de peinture de ce même musée, «impressionné par ces découvertes incroyables». Joan Fontcuberta établira plus tard une typologie des comportements suscités lors des différentes présentations de l’œuvre, qui nous donne des indications sur le dialogue que l’artiste souhaite instaurer avec le spectateur».

 

Le spectateur, en tout état de cause, ne restera pas passif. Il est sollicité par ce qu'il voit. Ces chimères ainsi que leurs comportements décrits par le professeur Ameisenhaufen vont engendrer des sentiments contraires : de la curiosité, de l'enthousiasme, de l'émerveillement devant tant de choses étonnantes mais également du doute, une dose d'incrédulité, peut-être même de l'incompréhension, voire un rejet,  mais aussi le rire de celui -celle-  à qui on ne va tout de même pas faire croire des choses aussi aberrantes... 

 

S'agit-il d'imposture, de falsification, de supercherie, de mystification ? Ou tout simplement de poésie ? L'œuvre de Fontcuberta interroge le réel ainsi que notre relation au monde et aux images. Elle pose un certain nombre de questions que nous allons essayer d'aborder prochainement...

           
           
           

 
           
     
           

La suite demain.

 

voir Joan FONTCUBERTA, Fauna .1

           
voir aussi  la série Herbarium de Joan FONTCUBERTA
           
           
           
           
Je renvoie au catalogue de l'exposition Joan Fontcuberta.Sciences-Frictions qui a été présentée du 9 avril au 3 octobre 2005 au Musée de l'Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie (Nathalie Parienté, commissaire de l'exposition). 
 
 
 site de Joan Fontcuberta
           
           
           
           
           
           

 photographies :

 

1 : exposition Sciences-Friction, Mantes-la-jolie, 2005 (photo personnelle)

2 : exposition Sciences-Friction, Mantes-la-jolie, 2005 (photo personnelle)

3 : vitrine d'archives, exposition Sciences-Friction, Mantes-la-jolie, 2005 (photo personnelle)

4 : vitrine d'archives, exposition Sciences-Friction, Mantes-la-jolie, 2005 (photo personnelle)

5 : vitrine d'archives, exposition Sciences-Friction, Mantes-la-jolie, 2005 (photo personnelle)

6 : le professeur Ameisenhaufen et le Centaurus Neandertalensis 

7 : le Microstrium Vulgaris dessin d'après nature

           
           
           
           
           
           
           
           
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3 juin 2011 5 03 /06 /juin /2011 09:13
 Chimères
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Au cours des vacances d'été 1980, dans une lugubre demeure transformée en bed and breakfast de la côte escarpée de Cap Wrath, au nord de l'Écosse, mon ami Pere Formiguera et moi fîmes la découverte d'étranges archives. C'était au cours d'un après-midi déprimant, je m'en souviens ; une pluie torrentielle nous empêchait de sortir et, je ne sais plus pour quelle raison, nous descendîmes dans la cave. La vue de ce réduit humide et malodorant éveilla notre curiosité, avides de trésors oubliés. Sur des étagères voilées de toiles d'araignées étaient empilés des cahiers et des feuillets couverts d'annotations en allemand, des plaques photographiques et des contacts déjà jaunis, des instruments de dissection et des flacons de formol ; éparpillés sur le sol, quelques animaux empaillés qui donnaient la chair de poule. 

Les deux jours suivants, quoiqu'il fît un soleil splendide (un cadeau du Ciel dans ces régions), nous n'abandonnâmes pas cet antre, véritable caverne d'Ali Baba des sciences naturelles, émerveillés par le contenu des photographies et attelés à déchiffrer des textes énigmatiques.

C'est ainsi que nous arrivâmes à la conclusion que leur auteur était un zoologiste de l'école néodarwiniste qui s'était plongé, durant trente ou quarante ans, dans de précoces études tératologiques. Son nom était Peter Ameisenhaufen (...).

           
           

Joan FONTCUBERTA,

Fauna, LE BESTIAIRE INCROYABLE DU PROFESSEUR AMEISENHAUFEN

(début du texte figurant dans l'exposition)

           
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C’est donc au cours de vacances en Écosse avec son ami Pere Formiguera que Fontcuberta découvre, entassées dans la cave du bed and breakfast où la pluie les avait reclus, les archives de Peter Ameisenhaufen (1895-1955). Tout au long de sa carrière et avant de disparaître mystérieusement, ce zoologue un peu particulier aurait amassé, avec l’aide de son collaborateur Hans von Kubert, une documentation considérable sur des animaux non encore répertoriés par la science.

           
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Les archives réunissent des notes manuscrites, des photos d’expériences réalisées en laboratoire, des spécimens empaillés…
           
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On y trouve des bestioles aussi diverses que le Solenoglypha Polipodida (6) , un serpent pourvu de pattes qui vit dans le Nord de l’Inde ; le Micostrium Vulgaris (7) , sorte de coquillage pourvu d’un bras dont la fonction est d’assommer les poissons composant l’essentiel de sa nourriture ;
           
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ou encore le Centaurus Neandertalensis (1, 8, 9) , avec son buste de babouin monté sur un corps de chèvre. Toutes ces créatures sont bien sûr des chimères fabriquées par un taxidermiste, d’après les instructions des artistes. Les archives du professeur ont été réunies dans une installation intitulée Fauna, qui a été initialement présentée dans un muséum d’histoire naturelle.
           
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L'affaire est sérieuse : la suite demain.
           
En attendant :  voir, ou revoir,  la série Herbarium de Joan FONTCUBERTA
           
           
           
           
Le contenu de cet article est en grande partie fait d'emprunts au catalogue de l'exposition Joan Fontcuberta.Sciences-Frictions qui a été présentée du 9 avril au 3 octobre 2005 au Musée de l'Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie (Nathalie Parienté, commissaire de l'exposition). 
 
 
 site de Joan Fontcuberta
           
           
           
           
           
           

 photographies :

 

1 : le professeur Ameisenhaufen examinant le Centaurus Neandertalensis

2 : les archives Ameisenhaufen telles qu'elles furent découvertes par Fontcuberta et Formiguera en 1980

3 : Wilhelm Ameisenhaufen vers 1900

4 : vitrine d'archives, exposition Sciences-Friction, Mantes-la-jolie, 2005 (photo personnelle)

5 : vitrine d'archives, exposition Sciences-Friction, Mantes-la-jolie, 2005 (photo personnelle)

6 : Solenoglypha Polipodida, position d'attaque

7 : le Microstrium Vulgaris joue avec le professeur Ameisenhaufen

8 : le professeur Ameisenhaufen et le Centaurus Neandertalensis dans une attitude amicale

9 : le professeur Ameisenhaufen et le Centaurus Neandertalensis

10 : vitrine d'archives, exposition Sciences-Friction, Mantes-la-jolie, 2005 (photo personnelle)

11 : accrochage, exposition Sciences-Friction, Mantes-la-jolie, 2005 (photo personnelle)

           
           
           
           
           
           
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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 14:52
  Chimères
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Joan FONTCUBERTA,


Série "Fauna" : Monstre conservé selon la méthode Fragonard

Sciences-Friction

Somogy-Éditions d'art

2005, p48

 

 Déjà, son premier contact avec la photographie est d'ordre documentaire et quasi encyclopédique. Sa famille mène une activité professionnelle dans la publicité, à une époque -l'Espagne des années 60 - où elle est encore une discipline totalement empirique. Joan, lui, à l'université de Barcelone, étudie les sciences de l'information, discipline appelée également ironiquement «sciences de la falsification». Cela ne s'invente pas.

  Ce monde de la communication constitue le cadre déterminant dans lequel son travail s'est, depuis lors, constamment développé. Il facilite certains thèmes de réflexion constants dans son parcours : la gestion du simulacre, les stratégies de la persuasion, les propositions créatives, les techniques de l'information, les moyens de communication, la culture de masse.

 Lui vient ensuite le désir de se concentrer sur une activité qu'il considère comme plus politique, éthique, personnelle, qui aurait trait non pas à la publicité elle-même, mais à l'utilisation que le système capitaliste pouvait en faire. En définitive, dit-il, «la publicité n'étant rien d'autre qu'un programme de séduction au service d'idées, ce qu'il faut considérer n'est donc pas tant le programme en soi ni ses techniques, mais ses idées, c'est-à-dire ses propositions et leurs conséquences». Ce qu'il constate, et ce qui constituera également la pierre angulaire de son travail, c'est l'importance de l'impact. Car le message doit se détacher, éveiller notre conscience, et laisser son empreinte.

  Ses premières œuvres consistent précisément à manipuler le support photographique. Il réalise des photomontages et utilise des techniques de manipulation en laboratoire.

 La fin des  années 70 constitue un tournant décisif. Il constate qu'il n'est plus nécessaire de fabriquer des contradictions, puisqu'elles sont déjà là. Il s'agit juste de les révéler. Tout simplement. Joan Fontcuberta commence à se consacrer de manière presque obsessionnelle aux jardins botaniques, zoologiques, aux musées de sciences naturelles. Si la finalité de telles présentations est d'ordre purement scientifique, culturelle, didactique, la nature est extraite de son origine et déplacée dans des lieux autres, qui ne lui étaient pas destinés. Cette nature artificialisée génère une poésie énigmatique et se transforme en une sorte d'explosion surréaliste, que Lautréamont avait anticipée avec sa machine à coudre et son parapluie sur une table de dissection : «Nul n'est besoin désormais d'intervenir encore sur ce qui est déjà en soi un photomontage», souligne Fontcuberta.

 


 

Joan FONTCUBERTA,

Sciences-Friction

introduction de Nathalie PARIENTÉ

Somogy-Éditions d'art

2005, p10

 


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Joan FONTCUBERTA,


Série "Fauna" : Truite poilue trouvée par le professeur Ameisenhaufen au lac Clifford

Sciences-Friction

Somogy-Éditions d'art

2005, p48

 

 

Vous savez pourtant aussi bien que moi

que la vie est pleine d'absurdités qui peuvent avoir l'effronterie de ne pas paraître

vraisemblables.

Et savez-vous pourquoi, monsieur le directeur ?

Parce que ces absurdités sont vraies.

 


L.PIRANDELLO,

Six personnages en quête d'auteur.

citation extraite du même ouvrage, p11

           
           
           
           
           
           
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1 juin 2011 3 01 /06 /juin /2011 08:11
 Chimères
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Lavandula Angustifolia, série «Herbarium», Barcelone, 1984


source : Joan Fontcuberta par Christian Caujolle,

Éditions Phaidon, N°55, Paris 2001, p53

 
 
En avril 2005 le Musée de l'Hôtel-Dieu, à Mantes-la-Jolie, organisait une exposition intitulée Sciences-Friction. Cette exposition était consacrée au travail de l'artiste catalan Joan Fontcuberta et lorsque l'on se déplaçait d'une salle à l'autre, les surprises étaient grandes. Une série, particulièrement étonnante, était montrée : la série intitulée Herbarium. De très beaux tirages en noir et blanc étaient alignés, tels des trophées. Il s'agissait de plantes photographiées avec soin et il émanait des tirages un sentiment de rigueur, de rationnel, empreint d'une dimension artistique.

       
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Cardus fipladissus, 1985 Guillumeta polymorpha, 1982 Dendrita victoriosa, 1982
     

De tels tirages invitent à la contemplation puis à l'observation comme on le fait pour un objet scientifique. Mais un étrange sentiment s'empare assez vite de l'observateur. Malgré l'impressionnante exactitude des formes, la dimension purement végétale de la plante apparaît soudain fragile. Naît un sentiment étrange, celui de l'imposture car l'œil croit deviner autre chose. Et en effet, c'est bien une tête de poulet qui émerge scandaleusement de Lavandula Angustifolia.  Aussitôt, on se surprend à aller vérifier ailleurs, dans tous les autres tirages, des traces de l'imposture. Parfois c'est clair, parfois non. Le cartel ne nous aide pas : nous butons sur le nom scientifique du spécimen, en latin, gage de la connaissance et du sérieux de l'entreprise. Mais une pointe d'humour est perceptible.

Le nom botanique latin dont Fontcuberta baptise ce troublant mélange d'éléments animaux et végétaux est donc censé accentuer le caractère sérieux et «scientifique» de la série Herbarium indique Christian Caujolle dans l'ouvrage -cité plus haut- dont sont tirées ces photographies..


         
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On l'aura donc compris, dans ce travail : tout est faux. Les plantes, même traitées de la façon la plus objective, sont des inventions, des chimères. L'artiste a patiemment recomposé des végétaux à partir de vraies plantes mais également de rebuts, de déchets ou de fragments animaux . À côté de ces photographies, parfaitement alignées, figure un texte qui accompagne les oeuvres et qui décrit le prétendu contexte de production de la série. Le dispositif de présentation est très important et fait partie de l'oeuvre elle-même; il contribue à la crédibiliser. 

exposition  Musée de l'Hôtel-Dieu de Mantes, 2005
 



 
Et l'artiste catalan, avec cette série, s'inscrit dans une tradition clairement identifiée : celle de la photographie documentaire. Mais pas uniquement. La rigueur de ce travail (le cadrage serré, le noir et blanc, le point de vue identique d'un tirage à l'autre, le fond blanc, la netteté de la prise de vue, la grande précision, le détail, l'apparente neutralité de cet alignement d'objets à la fois simples, forts et extravagants, la multiplication d'éléments de même nature photographiés à l'identique puis rassemblés dans un même corpus, etc.) débouche sur une espèce d'herbier photographié qui dresse un portrait a priori objectif et scientifique d'une nature domestiquée comme l'a fait une soixantaine d'années plus tôt l'artiste allemand Karl Blossfeldt (photographies ci-dessous).
           
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  Carex grayi
  Eryngium alpinum   Aspidium filixmas

   
Karl Blossfeldt, trois extraits du livre Urformen der Kunst, 1928
 
Et l'on comprend comment Joan Fontcuberta tire sa légitimité du travail somptueux de son illustre prédécesseur.  La forme est la même mais la démarche et l'intention radicalement différentes.  Au demeurant, les parallèles -ou les croisements- entre ces deux figures de botanistes accidentels sont intéressants : Joan Fontcuberta (né en 1955) est un artiste -photographe- qui produit des objets à caractère apparemment 'scientifique' ou documentaire ; Karl Blossfeldt (1865-1932) n'était ni un photographe professionnel, ni un scientifique. C'était un sculpteur (néanmoins, on associe immédiatement son nom à son travail de photographe). Son intention était de réaliser un catalogue des formes à l'usage des sculpteurs et des architectes.  Et c'est en Catalogne, avec Gaudi, que cette utilisation du végétal et des formes empruntées à la nature dans l'architecture sera poussée le plus loin. C'est aussi en Catalogne que naîtra Joan Fontcuberta.
           
           
           
           
           
           
           
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31 mai 2011 2 31 /05 /mai /2011 16:30

 

 

 

 

 

 

 

 

18  MAI  2011   Chimères, Jan FABRE


15  MAI  2011   Markus LEITSCH


13  MAI  2011   Sirènes


10  MAI  2011   La sirène d'ENSOR


7   MAI  2011   Benedetta BONICHI


6   MAI  2011   Licorne : XXe siècle


5   MAI  2011   Cheval ailé


4   MAI  2011  Centaure


3   MAI  2011   Carlos AIRES


2   MAI  2011   Siamois

 

1   MAI  2011   L'enfant à la queue

 

 

 

 


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18 mai 2011 3 18 /05 /mai /2011 13:45
 Chimères
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Il faut faire vite : une nouvelle exposition de Jan Fabre est à voir à la galerie Daniel Templon à Paris et elle ferme ses portes le 21 mai. Je ne pouvais, évidemment, pas faire l'économie de cette visite étant donné le titre que Jan Fabre a donné à son expostion : Chimères. Ici, pas de squelette mais nous sommes dans les entrailles de la boîte crânienne. Nous connaissons l'attrait exercé par le cerveau dans l'œuvre de l'artiste.

Des pièces en céramique représentant des cerveaux chimérisés sont montrées de manière somptueuse sur des socles de bois soignés, enchâssés dans de hautes vitrines verticales, le tout disposé selon un alignement régulier et lumineux..

   
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 Ici la chimère consiste à prendre comme dénominateur commun le cerveau humain - à l'échelle précisément humaine- extrait du crâne et posé soigneusement sur un socle de bois naturel et d'y greffer un autre élément emprunté  à une autre partie du corps : yeux, pieds (chaussés), ailes (corps animal) ou bien d'une tout autre nature (croix, arbre miniature, figure humaine, etc.)
   
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 Il semble que ces hybridations résultent d'une déclinaison poétique autour d'un objet essentiel, fondamental, source et générateur des sentiments, de l'intelligence, de la perception, de la création, de la mémoire et donc de la transmission : le cerveau humain. 
   
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 Le cerveau est multiplié, circule d'une vitrine à l'autre, encombré d'excroissances et de variations. La matière est fraîche, les couleurs sont vives comme si l'extraction de la boîte crânienne était récente. À la manière d'une relique, il est présenté de manière sacralisée. Il existe une sorte de collusion ici même entre le corps et l'œuvre d'art.
 
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 Dans cette exposition Jan Fabre présente des sculptures mais également des photographies accompagnées de dessins, plus petits, placés juste à côté, qui sont autant de commentaires ou d'évasions (ci-dessus). Ces photographies montrent des portraits d'hommes chauves cadrés à la limite du regard et dont la tête est surmontée d'un chou-fleur. La matière du légume s'apparente visuellement à celle du cerveau humain. Cette mise en scène du cerveau ou de son substitut visuel nous invite à considérer alternativement les éléments fixés sur les cimaises et les sculptures dans un rapport qu'on ne manquera pas d'établir entre le dedans et le dehors : dans un premier temps (la sculpture), le cerveau est extrait des os du crâne (disparition du squelette) ; dans un second temps (la photographie), le cerveau, sous une forme végétale, semble s'extraire lui-même de la porosité d'un crâne chauve et lisse qui rappelle celui du squelette. Je vous l'avais dit : pas moyen de l'éviter ce squelette...

         
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Chimères, une exposition de Jan Fabre à la Galerie Daniel Templon à Paris, du 14 avril au 21 mai 2011.
           
           
           
           
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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 20:21
Chimères
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Markus Leitsch , artiste autrichien né en 1978

Suit 2  2009
peau de vache, résine. 60×30×180cm

 
 
 source
 
 
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13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 18:06
Chimères
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Tout au long du temps, les sirènes changent de forme. Leur premier historien, le rhapsode du douzième livre de l’Odyssée, ne nous dit pas comment elles étaient ; pour Ovide, elles sont des oiseaux au plumage rougeâtre et au visage de vierge ; pour Apollonios de Rhodes, le haut du corps est femme, et le bas, oiseau marin ; pour le maître Tirso de Molina (et pour l’héraldique), «moitié femmes, moitié poissons.» Leur genre n’est pas moins discutable ; le classique dictionnaire de Lemprière dit qu’elles sont des nymphes, celui de Quicherat qu’elles sont des monstres et celui de Grimal qu’elles sont des démons. Elles résident dans une île du Ponant, près de l’île de Circé, mais le cadavre de l’une d’elles, Parthénope, fut retrouvé en Campanie, et donna son nom à la célèbre ville qui porte maintenant celui de Naples, et le géographe Strabon vit sa tombe et fut présent aux jeux gymniques qui se célébraient périodiquement pour honorer sa mémoire.

 L’Odyssée rapporte que les sirènes attiraient et perdaient les navigateurs, et Ulysse, pour entendre leur chant et ne pas périr, boucha avec de la cire les oreilles des rameurs et ordonna qu’on l’attachât à un mât. Pour le tenter, les sirènes lui offrirent la connaissance de toutes les choses du monde :


   Personne n’est passé par ici dans son noir vaisseau sans écouter de notre bouche la voix douce comme le miel, et sans être réjoui avec elle et sans avoir poursuivi son voyage plus sage… Car nous savons toutes les choses : les travaux infligés aux Argiens et aux Troyens dans la vaste Troade par la volonté des dieux, et nous savons tout ce qui arrivera sur la  terre féconde. (Odyssée, XII.)


 Une tradition recueillie par le mythologue Apollodore, dans sa Bibliothèque, conte qu’Orphée, sur le navire des Argonautes, chanta avec plus de douceur que les sirènes, et  que celles-ci se précipitèrent à la mer et furent transformées en rochers, car leur loi était de mourir quand quelqu’un ne subirait pas leur charme. Le sphinx aussi s’élança d’un sommet quand on devina son énigme.

 Au VIe siècle, une sirène fut capturée et baptisée au nord de Galles, et elle figura comme une sainte, dans certains calendriers, sous le nom de Murgen. Une autre, en 1403, passa par une brèche dans une digue, et habita Haarlem jusqu’au jour de sa mort. Personne ne la comprenait, mais on lui apprit à tisser et elle vénérait la croix, comme par instinct. Un chroniqueur du XVIe siècle démontra que ce n’était pas un poisson parce qu’elle savait tisser, et que ce n’était pas une femme parce qu’elle pouvait vivre sous l’eau.

 La langue anglaise distingue la sirène classique (siren) de celles qui ont queue de poisson (mermaids). Les tritons, divinités du cortège de Poséïdon, ont dû avoir, par analogie, une influence sur la formulation de cette dernière image.

 Dans le dixième livre de la République, huit sirènes président à la révolution des huit cieux concentriques.

 Sirène : soi-disant animal marin, lisons-nous brutalement dans un dictionnaire.

 

 
   
   Jorge Luis BORGES
Margarita GUERRERO

Manuel de zoologie fantastique,

Traduit de l’espagnol par Gonzalo Estrada et Yves Péneau
Christian Bourgois Éditeur, 1957,
1965 pour la traduction française,
1980, p170-171
   
   
  Taqsim
   
   
 

source sonore :

Ensemble Al Kindi,

Taqsim Tar Iraq, parfums ottomans

2006

   
   
   
   
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attraper les mouches

Fumier