27 février 2008
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Si on veut représenter le monde, on n'a plus qu'à aligner des chiffres | ||
«Il y avait sur le trottoir un tourniquet de cartes postales. Des photos de stars en noir et blanc, des baisers célèbres dans Paris, des reproductions de peintures. Et parmi les peintures, une étrange surface grise qui m'a plu. Elle était piquée de traits blancs minuscules, comme des jours barrés sur un mur de prison. Au dos, il y avait écrit : «1965 / 1—∞. DÉTAIL 99940—1017875.» Ces traits de brume sur le gris, c'étaient des chiffres. Ça ne se voyait pas d'abord. Ça ressemblait à une muraille, à un ciel, à un fond d'œil ; et puis quand on regardait plus attentivement, les chiffres, on les voyait apparaître. D'immenses lignes de chiffres. Plus rien d'autre sur toute la surface, que des chiffres. | ||
Le territoire gris des chiffres - leur crudité monotone. Je me suis dit :voilà, impossible d'oublier les chiffres, maintenant ils sont partout,il n'y a plus qu'eux. Le type qui a peint ça l'a compris : calculs, statistiques, mesures, tarifs - le monde se confond avec le chiffre ; il ne se présente plus autrement. Si on veut représenter le monde, on n'a plus qu'à aligner des chiffres.» Yannick Haenel Cercle Gallimard, 2007, p 133 | ||