Parce que le sommeil est frère de la mort, il est parfois difficile, dans la peinture symboliste, de décider qui rêve et qui meurt, qui dort et qui est mort. Les figures souvent émaciées du songe se confondent aisément avec celles de cadavres.
Jean CLAIR Éloge du Visible Éditions Gallimard, 1996 p102
Illustration : James Ensor, Squelettesse disputant un hareng saur, 1891
La bouche d'une fille qui avait longtemps reposé dans les roseaux était si rongée. Quand on ouvrit la poitrine l'œsophage était si troué. Enfin dans une tonnelle sous le diaphragme on trouva un nid de jeunes rats. Un petit frère était mort. Les autres vivaient du rein et du foie, ils buvaient le sang froid, ils avaient vécu ici une belle jeunesse. Ils eurent aussi une mort rapide et belle : on les jeta tous à l'eau. Ah, comme piaillaient les petits museaux !
Gottfried BENN Poèmes Éditions Gallimard, 1972 pour la traduction française p37-38
Illustration : Albrecht Dürer, 1503 Graphische Sammlung Albertina, Vienne
M. le Maudit – le prototype du petit-bourgeois criminel. Gras et efféminé, il ne se distingue en rien des autres. Il marche dans les rues avec Elsie et lui achète un ballon. Parfois, il la regarde en souriant, presque avec tendresse. A un étalage, il chaparde une pomme et la mange goulûment, comme un enfant. Son ombre se profile sur la colonne d’affichage qui porte l’inscription en lettres gothiques, promettant une récompense pour sa capture. La petite fille aux cheveux blonds lance la balle contre l’affiche. Elle le regarde et dans ses yeux, il n’y a aucune crainte, aucune angoisse. Une singulière beauté, un émerveillement qui, le temps d’un regard, se confondent avec l’amour ou la fascination pour cette ombre qui va la tuer.