Language is not transparent |
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Mel Bochner: Language is Not Transparent, 1970 texte écrit à la craie sur mur préparé |
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Critique et art contemporain |
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Où en sommes-nous ?
Il est parfois bon de se soustraire au flux de l'actualité, de regagner la rive afin de marquer une pause. [...] Nous sommes évidemment tombés d'accord sur le rôle désormais tentaculaire du marché de l'art. Celui-ci est, rappelons-le, absolument nécessaire, mais ce qui apparaît en revanche gênant, c'est l'obsession immodérée qu'on nourrit aujourd'hui pour lui, si bien qu'il en arrive à légitimer plus qu'auparavant les choix là où, à une époque pas si lointaine, ce qu'on appelait les «convictions» et une «vision personnelle de l'histoire de l'art» présidaient avant tout à l'engagement auprès des artistes. De la même manière, notre débat souligne l'importance prise par les grands collectionneurs, dont l'aura, dans l'imaginaire collectif, se mesure généralement davantage à l'aune de leurs moyens financiers qu'à leurs options esthétiques proprement dites -si François Pinault est aujourd'hui l'objet de tous les fantasmes, on analyse en revanche bien peu les lignes de force qui structurent sa collection, laquelle constitue un commentaire pertinent sur notre sombre époque. C'est aussi que le silence des méga-collectionneurs est assourdissant, et l'on aimerait bien savoir ce qui les motive sur un plan plus intellectuel, au-delà de l'agitation «bling-bling» du milieu. Enfin, et surtout, nous avons tous fait le constat, en tant que critiques, que l'élargissement du monde de l'art au cours de la dernière décennie a eu pour conséquence l'impossibilité d'embrasser l'actualité dans son entier, et que toutes nos tentatives pour la cerner à grands renforts de voyages aux quatre coins du monde, de nouvelles foires en biennales et triennales, ne débouchaient pas sur une meilleure compréhension de la scène internationale. D'autant que ces manifestations ont souvent traité en gros des mêmes thématiques (la mondialisation, la ville...), exposant les mêmes artistes, voire les mêmes œuvres, au point que nous nous sommes demandé si cela valait encore la peine de voyager : dans les années 2000, le chemin de l'art contemporain a été sans doute plus balisé qu'auparavant. D'où le réflexe, pour nombre de critiques, d'une forme d'hibernation, d'un repli stratégique sur une sphère plus personnelle, en travaillant avant tout à faire découvrir à leurs lecteurs des artistes dont l'œuvre leur semblait détoner dans le bruit de fond ambiant, serait-ce sur le mode de la modestie. Dans une boîte de nuit, tenter de crier plus fort que la musique du DJ est somme toute aussi illusoire que de remplir le tonneau des Danaïdes. Tandis que le son baisse sensiblement ces derniers temps, car le monde de l'art, à intervalles réguliers, éprouve malgré tout le besoin de retrouver ses repères pour se remettre des emballements, nous osons croire que la critique doit à nouveau faire entendre sa voix. |
Richard LEYDIER, éditorial du N° 374 du magazine artpress de janvier 2011 |
illustration : Simone DECKER, Chewing in Venice 1 + 2 (détail) |
Man Ray, Le Voyeur |
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Le Voyeur1965, Man Ray Smithsonian American Art Museum |
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Quiet Ensemble : Écouter les images ? |
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QUINTETTO |
les vidéos |
les images |
Regarder la peinture ? | |||||
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Alfred HITCHCOCK, Vertigo, 1958 | |||||
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source : 1000 Frames of Vertigo | |||||
Voir également la présentation de Vertigo dans l'exposition "Brune blonde" à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, octobre 2010-janvier 2011 | |||||
Regarder la peinture |
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Pàvel Kogan |
Look at the face, 1966 |
Jean-Jacques Henner |
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Jean-Jacques HENNER Biblis changée en Source , 1867 Musée des Beaux- Arts, Dijon |
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| Nicolai POUSSINI |
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J'ouvre la fenêtre, au nord, et une lumière douce envahit le nymphée. Je vois un lit, ou un divan, où est imprimée la marque d'un corps mais couverte de poussière. Sous le plafond du second niveau, je tire une petite échelle oblique, aux quelques degrés larges comme ceux d'un escalier, qui bascule d'une seule traction. Il faut soulever une trappe.
C'était l'atelier. Cerné par trois murs et par l'espace ouvert sur le rez-de-chaussée, sans balustrade. Contre les murs, sous des couvertures et des housses isolantes, des tableaux. Au centre, deux toiles sur leur chevalet, une chaise, une caisse et un guéridon, des couleurs, des pinceaux, des chiffons, des bouteilles de solvant, des pots de colle, une trousse ouverte contenant de petits instruments de tailles différentes pareils à des scalpels. Contre le mur, sur une planche posée sur deux piles de briques, un ordinateur portable. Je tirai les housses qui couvraient les tableaux contre les murs. L'image me sauta à la figure. Anachronique, elle était insérée dans un cadre de bois et de plâtre autrefois doré à l'or fin, écaillé et abîmé, à l'entrelacs feuillu exubérant : la photo démesurée de la jeune baigneuse morte, retouchée à la plume et au pinceau, par endroits grattée ou incisée. Et une vingtaine, une trentaine de toiles et de dessins de la même image ou d'images semblables, crayons noirs et blancs, sanguines, fusains, gouaches, pierres noires, huiles, qui épuisaient les ressources de la technique classique. Et même des photos de certains de ces dessins, tirées à très grand format, retouchées, peintes par-dessus. Je fis glisser les housses des chevalets. Deux tableaux se tenaient vis-à-vis, inachevés. Ils figuraient immuablement la jeune baigneuse. Mais le premier avait commencé d'être peint il y a trois cent cinquante ans, le second voici un an ou un peu plus. Le plus ancien représentait, comme de juste, une femme à la nudité désespérante de jeunesse et de beauté, endormie dans l'herbe, sur un drap blanc ; elle est couchée sur le côté, son bras encercle sa chevelure brune. La plus grande partie de son corps est inachevée bien que la forme spectrale de se jambes, de sa hanche, et la ligne de son dos soient précisément délimitées. A droite et à gauche, potelés et dodus, deux amours couronnés de fleurs jouent l'un avec des flèches, l'autre avec un arc. Au deuxième plan, on voit un homme assis sur un rocher et une femme debout à ses côtés, qu'il enlace ; elle émerge d'une rivière où s'abreuvent des moutons. J'aperçois une musicienne, à demi vétue d'une draperie rose et blanche, et une danseuse, en or et blanc, les seins nus. Dans l'ombre, sous les feuillages, un peu à droite, penché vers la jeune fille endormie, on devine un visage, peut-être un homme. La jeune fille endormie se tient dans la position exacte de la jeune baigneuse de la photo. Près d'elle, une stèle en pierre, gravée. Parmi quelques mots en latin, je lis, médusé : NICOLAI POUSSINI.
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Philippe AUTHIÉ, Le Corps de la baigneuse, Éditions du Seuil, 2005, p142, 143, 144 | |
illustration : Nymphe endormie surprise par des satyres (détail) Nicolas Poussin ,1627 Huile sur toile 66 x 50,8 Londres, National Gallery | |
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