30 octobre 2011
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Paul Rebeyrolle, 2011 | |||||
Une très belle exposition touche à sa fin ces jours-ci et c'est bien dommage : il est encore temps de se rendre à Alex, à une quinzaine de kilomètres d'Annecy, à la Fondation Salomon. On peut y admirer une trentaine d'œuvres de Paul Rebeyrolle dans des conditions optimales ; le lieu est magnifique et les espaces d'exposition sont à la mesure du peintre. La peinture de Paul Rebeyrolle est extravertie. Elle ne laisse pas indifférent. Les formats sont généreux, la matière déborde (au sens parfois littéral) et les figures explosent . | |||||
Paul Rebeyrolle n'a malheureusement pas bénéficié de la reconnaissance qu'il aurait dû avoir à son époque. Il a sûrement payé cher son engagement politique. Certains pourtant ne s'y sont pas trompés : Michel Foucault ou Jean-Paul Sartre l'ont soutenu et de grandes galeries comme la galerie Claude Bernard gèrent en partie son œuvre. Né en 1926, il va pratiquer une peinture que je pourrais qualifier de peinture de combat. Aussi bien les figures qu'il met en scène que les objets, réagissent, se débattent, explosent, crachent, aspergent le spectateur, se déchirent, implosent, pendent, sortent du cadre : rien de statique. Sa peinture donne l'impression d'un combat perpétuel, quelque chose d'acharné. | |||||
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La matière est épaisse chez Rebeyrolle, c'est une peinture de la terre, des éléments ; les matériaux s'extraient du cadre et les bois, la glaise, les fers (La Barrière, à gauche ci-dessus), la toile de jute ne supportent aucune limite. Les personnages eux-mêmes vivent un épanchement du corps : les bras se tordent, les contours sont aléatoires, fluctuants, les yeux giclent et roulent. | |||||
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La déformation des corps est au service d'un propos critique comme dans cette toile intitulée Le petit commerce (à gauche ci-dessus) visant l'usage destructeur de l'argent et la société de consommation ; dans un élan révulsif, des ossements animaux liés aux paillettes sont présentés ostensiblement au spectateur au risque d'être éclaboussé. La série des Implosions ( Implosion V, ci-dessus et trois autres ci-dessous, à droite) verra les corps se déformer encore plus, perdre leur intégrité combattant ainsi toute nécessité et toute volonté de séduction. | |||||
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Rebeyrolle est un artiste ancré dans la ruralité -ses thèmes et la manière dont il fait usage des matériaux l'ont à chaque fois montré- mais c'est aussi quelqu'un de rebelle qui, à la fois, s'engage politiquement et construit un langage pictural radicalement différent de celui qui se pratiquait à son époque. Son Hommage à Courbet (ci-dessus) n'a donc rien d'un hasard. Sans doute a-t-il voulu affirmer avec détermination son appartenance à la même famille spirituelle que celle de Courbet en reprenant à sa manière l'Origine du Monde. | |||||
Les objets seront traités comme les êtres humains et renverront d'ailleurs symboliquement à ceux-ci : ainsi -dans L'arrière-cour- le sac sans forme, éculé, sali, subissant les affres des eaux usées, prêt à disparaître avec elles dans l'égoût, fait référence à une vieille dame d'origine arménienne que le peintre connaissait. Il permet dans son traitement pictural de faire écho à l'itinéraire de quelqu'un que l'histoire a malmené, bringuebalé. Par extension, il devient une marque d'empathie à l'égard des réfugiés et autres immigrés. L'acte pictural devient acte politique. Le cloaque reste d'ailleurs extrêmement présent (ci dessus à droite -Un temps de chien- : la bête surgit, toutes dents dehors, et l'homme apeuré, en déséquilibre au bord du gouffre, du noir, du sans-fond...). À moins que ce soit le contraire : la bête prétendument immonde que l'on cherche à renvoyer dans les profondeurs, celle qu'on ne veut pas voir (un double de soi-même ?). | |||||
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Les bêtes sont extrêmement présentes, parfois résumées à une tête énorme dévorant l'espace, anéantissant la proie -homme écartelé ou fragile bestiole - et le paradoxe est que, lorsqu'on est en face de la toile, ce monstre roux et puissant n'apparaît pas forcément tout de suite : matière, forme et couleur font éclater la figure et la violence du traitement domine le tout. | |||||
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Quelques sculptures -en véritable écho à la peinture- sont présentées dans l'exposition : L'œil sur le front et L'œil sur la langue (à gauche ci-dessus) posent le problème de la nature du regard dans une économie de la désarticulation des êtres qui vont cheminer sur une très grande partie des cimaises. Et puis L'œuf (ci dessus, à droite) que l'on va retrouver dans les peintures jaunes, à proximité, qui est l'être en gestation, la fragilité, la forme pure menacée mais aussi le liquide gluant, dégoulinant, visqueux, une fois la fine pellicule brisée (se rappeler que l'œuf fait partie des matériaux du peintre) . | |||||
Paul Rebeyrolle est mort en 2005. Même s'il était quelqu'un qui ne recherchait pas les honneurs (ci-contre La stèle, où l'on voit le geste du singe à la statue dorée) son nom aurait pu être retenu beaucoup plus tôt car il fait désormais partie des grandes collections. Il faut aller à Eymoutiers, en Haute-Vienne d'où il est originaire : j'ai le souvenir d'un très beau musée qui lui est consacré. On y comprendra la force d'un peintre enraciné dans un terroir mais qui a finalement réussi à laisser sa marque à l'égal des plus grands. | |||||
Paul Rebeyrolle 09.juillet / 06.novembre 2011
Fondation Salomon, 74290, Alex (Annecy)
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