Les phoques |
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Peut-être convient-il de commencer ce récit par l'évocation d'un spectacle de cirque qui s'est déroulé en 1918. Mes yeux éblouis y découvrirent pour la première fois - dans des exercices certes modestes, mais qui me parurent à cette époque prodigieux - les animaux qui méritent notre respect le plus fervent : les phoques. Quant au bonheur que j'associe involontairement à ces souvenirs, je l'attribue à présent (mais il ne faut pas oublier qu'en ces jours de malheur nous sommes victimes de nos obsessions) à la noble, à la sainte griserie de la victoire ; pourtant, lorsque j'essaie de revivre, sans les trahir, mes sentiments d'alors, je comprends qu'au cœur de ma félicité, comme symboles de futurs mystères, se trouvaient la gigantesque tente pavoisée et trois enfants - Helena, Marcos et moi - se tenant par la main devant un seuil funeste. Quand s'acheva le numéro des phoques, Marcos quitta la loge. Un chimpanzé apparut à vélo dans la rouge circonférence de la piste. Le singe pédalait sans regarder son étroit chemin ; il avait les yeux fixés sur Helena. Soudain les événements se précipitèrent. Helena pleura ; Marcos revint et dit qu'il avait obtenu la permission de rendre visite aux phoques et aux autres animaux ; Helena implora et menaça : si j'y allais, elle ne me reverrait plus ; je suivis Marcos. |
Adolfo BIOY CASARES La trame céleste,1948/1956 Nouvelle : Des rois futurs, p35 traduction (1998) Eduardo Jiménez, Éditions Robert Laffont |
. illustration : Albert BIERSTADT Seal Rock, New Britain Museum of American Art, Connecticut. |
. TRIO JOUBRAN La Marche extrait de : Le Dernier Vol |