29 mai 2014
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...et son ombre même l'ennuyait. |
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Il ne s'occupait pas de son bien-être et en était réduit à manger sans arrêt ses œufs durs. Pour économiser le feu, il les faisait cuire en même temps qu'il faisait bouillir sa colle, et il n'en mettait pas quatre ou six à la fois, mais une bonne cinquantaine ; et, les gardant dans un panier, il les mangeaient peu à peu. Il aimait cette vie si extravagante , qu'en comparaison toutes les autres lui semblaient un esclavage. Il était ennuyé par les enfants qui pleuraient, les gens qui toussaient, le son des cloches, le chant des moines ; et quand il pleuvait à seaux, il était content de voir l'eau tomber en trombe des toits et rebondir par terre. Il avait très peur des éclairs et, quand le tonnerre était particulièrement fort, il s'enveloppait dans son manteau, il fermait les fenêtres et les portes de sa chambre, et il se tenait dans un coin jusqu'à ce que le gros de l'orage fût passé. Il tenait des discours très divers et pleins d'originalité, et ses propos étaient parfois si extraordinaires qu'ils suscitaient des éclats de rire. Mais, avec l'âge, il devint si étrange et si bizarre qu'il ne se supportait plus. Il ne voulait plus d'apprentis autour de lui, si bien qu'à cause de sa brutalité, plus personne ne l'aidait. Quand l'envie lui venait de travailler, le tremblement de ses mains l'en empêchait et il se mettait dans une colère noire parce qu'il voulait obliger ses mains à se tenir tranquilles et, pendant qu'il marmonnait, sa canne tombait, ou même ses pinceaux : c'était une vraie pitié. Les l'enrageaient et son ombre même l'ennuyait. |
Giorgio VASARI Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, 1550 IV, pp. 142-143 ; trad. franç. 1983 , t. V, pp. 89-90 |
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illustration : Piero di COSIMO La Mort de Procris 1500 huile 65 x 183 cm National Gallery, Londres |
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