23 juin 2007
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Musée du quai Branly : premier anniversaire | ||||
![]() | Le musée du quai Branly fête son premier anniversaire aujourd'hui. Le bilan -provisoire- au terme d'une année sera vraisemblablement envisagé ces jours-ci par nombre d'observateurs variés. Soyons attentifs, essayons de faire le tri, sachons repérer les enjeux derrière les constats. Il risque d'être très instructif de confronter les opinions qui vont être exprimées ; qu'il s'agisse de professionnels, de visiteurs éclairés, de touristes, etc. Et dans chacune de ces catégories nous allons retrouver des sous catégories qui ont toutes les chances de ne pas être d'accord entre elles... | |||
Alors que penser de ce musée des arts premiers ? J'ai trouvé sur internet, et je ne sais plus où d'ailleurs, cette photographie d'une statuette d'un type assez particulier renvoyant grossièrement à l'esthétique d'une petite sculpture africaine rendue délibérément contemporaine grâce à ses attributs qu'on ne manquera pas d'identifier... Sacrilège. J'ai trouvé ça rigolo et me suis empressé de glisser, vite fait, ce petit ovnimage dans ma collection de trucs que je récupère, comme ça. Et puis je retombe dessus dans ce contexte du premier anniversaire du musée des arts premiers. Et cette petite image, je ne la trouve plus si anodine. Quel statut donner à cet objet photographié ? Est-on dans le registre du trivial, du blasphématoire, du mauvais goût, du commercial, de l'objet d'art contemporain occidental et provocateur ? (il pourrait occuper une place avantageuse dans l'espace d'une galerie à la mode, du quartier du Marais, par exemple). Ailleurs encore ? «On voit combien la notion d'"art” pose problème ; est ambiguë. Combien sous ce terme, on fait se recouvrir des processus foncièrement différents, antinomiques.» écrivait la rédactrice d'un très bon blog traitant précisément des choses de l'art dans un billet consacré, justement, au musée du quai Branly... La question essentielle relève effectivement de la définition de l’œuvre d’art. Toujours la même question. Ce truc aux frites et boisson gazeuse appartient-il au registre artistique ? Et ce qu'on voit dans les vitrines du musée du quai Branly, est-ce bien des objets d'art ? Ne serait-ce pas plutôt, dans nombre de cas, des objets usuels qui ont changé de catégorie en changeant de continent ? (Même si ceux qui les ont collectés les trouvent «beaux» ? Et puis d'ailleurs la Beauté reste-elle le critère pour définir le statut d'une œuvre d'art ? Le XXème siècle a ébranlé nos certitudes, etc.) Et c’est heureux. Heureusement qu’on est loin de faire le tour de ces questions. Et c’est pour ça que tout se qui se réfère à l’art m’intéresse intensément et continuera sans doute à m’intéresser longtemps. On peut prendre un objet et l’introduire dans un autre circuit, y compris un objet fait en Afrique (et appelons-ça comme on veut : outil, chef d'œuvre, pièce d'artisanat, objet d'art ou de consommation, etc.). A partir du moment où un objet est produit, soumis au regard des autres, il prend son autonomie (voir la statuette africaine...). Et la bonne conscience pour le remettre dans le droit chemin de sa prétendue catégorie véritable n’y fera rien. Et n'est-ce pas ici, au contraire, lorsqu'on considère ces objets «d'arts premiers» que la mauvaise conscience (blanche, bourgeoise, catholique, judéo-chrétienne, scoute, cultivée, de bonne famille, étant nécessairement passée par une phase d’autocritique de bon aloi liée au mouvement social de 1968 avec, en conséquence, juste ce qui faut de contestation politiquement correcte) ressort ? Le musée a des responsabilités. Mais il faut savoir assumer sa position. Il participe à la fabrication des représentations, pour ne pas dire qu'il se trouve bien souvent à l'origine de ces représentations. Y a-t-il vraiment un «regard d’homme blanc» ? Ce qui supposerait un regard d’homme noir. Reste à savoir où commencerait la négritude (ou la «blanchitude»). A partir de quel degré de coloration, d’origine, d’authenticité, de pureté du sang, etc. Voyez que ça rappelle de mauvais souvenirs et qu’il ne faut surtout pas se fourvoyer dans ce sens. Ces deux composantes existent-elles vraiment ? Un regard métis serait une subtilité supplémentaire qui ajouterait un peu plus à la confusion ? Se situe-t-il du côté blanc ou du côté noir ? Ces questions, tout cynisme évacué, interrogent et rappellent évidemment les mauvaises relations que la France a entretenu avec l’Afrique dans le cadre tristement calamiteux du colonialisme et ça n’est pas le discours de la mauvaise conscience (y compris celui élaboré spécifiquement pour ces objets d'art) qui fera le ménage ou qui rachètera cette France du ratage. Pourquoi décidément ne pas s’intéresser à l’Afrique contemporaine et prendre en compte le drame des gens prêts à tout, jusqu’à sacrifier leur vie ? Car ce n’est pas fini. C’est loin d’être fini. Il y a actuellement une superbe performance générale d’une partie de l’Afrique au large des côtes de Sud de l’Europe : voir cette photo d'un performer* en pleine action. Force est de constater que ces questions sur l'art nous entraînent bien loin. Mais je m'éloigne du propos. La statuette se nourrissant de produits made in USA ne renverrait-elle pas à elle toute seule à un état de la réflexion sur la mutation des valeurs liée à l'identification des objets et de leur fonction ? Alors, in fine, que penser de ce musée des arts premiers ? Honnêtement je n'en sais rien. Et puis je ne suis pas spécialiste. | ||||
* photographie en lien : Espagne, îles Canaries ©Juan Medina / Reuters -photographie initiale : source non identifiée. | ||||